Le chef Lyonnais Christian Têtedoie s’est exprimé au quotidien News Day Lyon, le MOF et Président des Maîtres Cuisiniers de France porte un regard en totale phase avec la réalité du monde d’aujourd’hui.
Par A. Soudani
EXCLUSIF. Christian Têtedoie, chef étoilé du restaurant qui porte son nom à Lyon, est l’invité des rencontres deactualités Lyonce mercredi 25 octobre 2023. Celui qui a cuisiné à l’Élysée pour Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand parle de ses projets. Il retourne à son projet de restaurant panoramique à la tour Guillot dans le 8ème arrondissement, ainsi que sur sa vision du La gastronomie lyonnaise et le français et la quête d’une deuxième étoile. Moins de viande mais toujours plus de saveur, Christian Têtedoie donne son avis sur l’avenir de la restauration et le sien.
Vous avez travaillé pour de nombreuses maisons prestigieuses, dont celles de Paul Bocuse et Georges Blanc. Quel est l’endroit qui vous a le plus appris, qui vous a le plus formé ?
Christian Têtedoie : J’ai eu quatre restaurants trois étoiles. Toutes les étapes de ma formation m’ont beaucoup apporté. Chaque chef m’a apporté quelque chose. Paul Bocuse avait ce côté empreint de tradition, avec une cuisine avec de bons produits. Georges Blanc m’a appris un énorme respect du client et à toujours développer la cuisine en attendant le client. C’est grâce à lui que j’ai le plus appris sur la créativité.
Qui est, selon vous, le plus grand chef de France ? Avez-vous un modèle ?
CT : Nous avons toujours des modèles. Je cite souvent Régis Marcon car je trouve son parcours exceptionnel. Il arrive à amener les gens au fond de la Haute-Loire, c’est vraiment méritant. Il y en a plein… On peut citer Arnaud Donckele qui fait un travail de recherche exceptionnel. Au niveau international, il y a Thomas Keller qui fait une belle carrière aux Etats-Unis avec l’honnêteté de dire qu’il a tout appris en France.
Comment voyez-vous Lyon aujourd’hui et qu’est-ce qui a changé en termes de gastronomie et de traditions ?
CT : Lyon sait préserver une part de tradition. Les bouchons lyonnais se portent bien, tout comme la bistronomie avec de jeunes chefs hyper créatifs qui ont créé de belles adresses. Je trouve que Lyon a une place à part et sait se réinventer.
Les bouchons lyonnais ont hurlé dans nos colonnes en affirmant que Lyon n’était plus la capitale de la gastronomie, que la cuisine lyonnaise perdait en authenticité. Il y a par exemple des burgers en bouchons, qu’en pensez-vous ?
CT : Je ne savais pas que les bouchons vendaient des burgers… C’est un peu une ligne rouge à ne pas franchir. On assiste à un changement de génération avec des mamans lyonnaises, comme Arlette Hugon, qui passent le relais. Il est vrai que les clients sont moins enclins à manger une cuisine lyonnaise lourde. Il faut se le dire. Je vis l’expérience avec le restaurant « La Mère Léa ». Cette affaire est en baisse. Pourtant, elle s’inscrivait dans une tradition très exigeante. Il a fallu moderniser tout cela car nous ne trouvions pas de public. J’ai initié une nouvelle tendance : les bouchons 2.0. On respecte la tradition en mangeant de la modernité dans l’assiette, une présentation plus soignée et en allégeant les plats.
Vous gérerez le restaurant panoramique de la Tour Guillot dans le 8ème. A quoi cela ressemblera-t-il?
CT : L’ambition est de créer le restaurant de demain. Je vais l’utiliser comme laboratoire pour voir jusqu’où on peut aller dans les plantes, en utilisant les protéines animales comme cerise sur le gâteau. Nous allons réaliser un toit sur trois ou quatre étages, intégrant une partie un peu naturelle. La tour entière sera revêtue de bois et le toit sera construit sur cette structure en bois. Il y aura un jardin au rez-de-chaussée et peut-être une ferme suspendue. Cela devrait être fait en 2028.
Quel est votre rêve absolu ?
CT : J’ai toujours secrètement rêvé de créer un Disney de la gastronomie. Un lieu pour les familles ou pour les séminaires, où l’on vient découvrir cet univers absolument exceptionnel, où nous impliquons producteurs, éleveurs, boulangers, pâtissiers… Avec un côté très ludique et des ateliers. Mais cela coûterait très cher et je suis trop vieux pour le faire. Après, si Dieu me fait grâce pour encore quelques années et que je trouve les bonnes personnes pour le faire, on ne sait jamais…
Le guide Michelin est une référence dans le monde de la gastronomie française et mondiale mais fait également l’objet de nombreuses critiques. Est-il dépassé ?
CT : Je ne pense pas que ce soit obsolète. Ce n’est jamais facile d’être jugé et critiqué, mais c’est toujours positif dans une démarche entrepreneuriale à condition de savoir l’entendre.
C’est un formidable moteur pour la cuisine française et j’espère que cela durera encore longtemps. Les guides Michelin ou autres, comme le Gault et Millau, présentent un réel intérêt. Cela permet parfois de ramener les chefs à la réalité. Je travaille moi-même depuis plusieurs années pour obtenir la deuxième étoile. Je ne l’ai toujours pas et je continue de m’accrocher à cette idée. Ce n’est pas nombril, ça permet simplement à l’équipe de travailler sur un projet et c’est super motivant.
Avez-vous peur de perdre votre étoile ?
CT : C’est toujours pour ça que je travaille pour gagner deuxième, ça m’évite de prendre ce risque. Quand on fait un pas pour avancer, cela nous permet de revoir nos fondamentaux, de rester à jour et de ne pas nous reposer sur ce que nous avons appris
CT : Non, ma plus grande ambition était d’être Meilleur Ouvrier de France, les étoiles sont arrivées plus tard et j’en suis très content mais je sais qu’on peut aussi s’en passer.
Pourquoi un tel échec de la cité de la gastronomie à Lyon ? Qu’est ce qui ne s’est pas bien passé?
CT : C’est un sujet que je connais bien, j’y ai travaillé avec Régis Marcon. Nous n’avons pas réussi à nous faire entendre et nous pouvons voir le résultat derrière. Je crois que la gastronomie est un monde de plaisir et de gourmandise. Difficile de s’en dissocier et d’en faire un musée. Aujourd’hui, la Métropole s’en est emparée et lui fait vivre des conférences et des expositions, elle a le mérite d’exister. Mais tout cela manque de gourmandise. Cela pourrait être une bonne idée, mais différemment et ailleurs dans la ville.
Pierre Orsi a récemment pris sa retraite et vend son restaurant. La rumeur McDonald’s a pris de l’ampleur. Bocuse a également défrayé la chronique à Vaise en vendant au groupe américain. Est-ce la ligne rouge ?
CT : J’ai eu Pierre Orsi au téléphone ce matin, il va très bien, et il fera des annonces très prochainement ! Il attend simplement le chèque avant de communiquer. McDonald’s a un positionnement qui correspond aux attentes des consommateurs. Ce n’est pas à moi de juger cela. En revanche, cette nourriture n’apporte rien à l’organisme. Même si nous avons payé cher, nous ne sommes pas les champions des cotisations retraite. Je verse actuellement 3 800 € par mois à ma caisse de pension. Elle me propose 1 380 € à ma retraite, que j’aurais pu prendre il y a trois ans. Je gagne 22 000 € par mois. Je ne reprocherais donc certainement pas à Pierre Orsi de bien vendre ses immeubles. Je ne m’empêche pas non plus de revendre mes affaires. C’est juste dommage qu’il n’y ait pas de possibilité qu’un chef puisse reprendre une si belle maison.
Face à l’inflation, avez-vous été contraint d’augmenter vos prix ?
CT : Oui, deux euros par plat et 10 euros par menu. Ce n’est jamais très agréable de faire cela car on sait que derrière cela, le portefeuille du client n’augmente pas non plus. Nous le faisons sous la contrainte. Mais nous avons pris un gros coup de plus de 300 000 euros avec l’énergie cette année, c’était un vrai cauchemar.
Le célèbre chef Alain Ducasse nous a récemment appelé à « réduire drastiquement » notre consommation de viande. Est-ce que vous passez le même appel ?
CT : Oui. Je pense qu’il y a des étapes importantes dans la vie à respecter. Lorsque vous êtes jeune et en pleine croissance, vous devez manger des protéines animales au moins deux fois par semaine. Quand tu es adulte, tu peux suffire une fois. Je préfère que les gens mangent de la bonne viande de temps en temps et se fassent plaisir. Avec les viandes rouges, il faut être prudent. Et quand on est à l’automne de sa vie, il faut à nouveau manger de la viande pour éviter de perdre du muscle.
Vous avez reçu l’étoile verte, qui récompense l’innovation durable en gastronomie. Comment, selon vous, pouvons-nous aller plus vite et plus loin en matière de gastronomie durable ?
CT : Nous devons tendre la main aux jeunes afin qu’ils puissent s’impliquer immédiatement dans ce processus. Avec Olivier Ginon (président de la société GL Events, ndlr), qui a créé les fondations d’une cuisine durable, nous avons par exemple organisé le premier concours de gastronomie durable au CFA en septembre dernier.
Vous possédez vos propres restaurants, mais vous investissez également dans les projets de jeunes restaurateurs. Quels sont les bons concepts que vous privilégiez pour investir ?
CT : Je ne suis pas du tout un homme d’affaires. Je fais tout mon développement pour accompagner les jeunes dans le leur. Quand j’ai vu les difficultés rencontrées par mon fils lorsqu’il a créé son premier restaurant, j’ai décidé d’accompagner les jeunes dans la création d’entreprise.
Quel est votre plat préféré à cuisiner et votre préféré à manger ?
CT : Je suis tellement gourmande, j’aime tout. Je suis plutôt un poisson. J’apprécie la très bonne viande, mais je fais attention. J’adore cuisiner des légumes. Les repas en famille se font plutôt sous forme de brunch, car mes enfants ont des goûts différents ! C’est ce que je fais le 25 décembre, à Noël, mon seul jour de congé de l’année.
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Plus de temps en cuisine et moins dans les médias !
La qualité du restaurant étoilé de ce monsieur est inadmissible. Il ne gardera pas son étoile.