Femme chef ou femme cheffe ? Quand l’orthographe en dit long – F&S a creusé pour vous la question

  Femme chef ou femme cheffe ? Quand l’orthographe en dit long – F&S a creusé pour vous la question

Dans l’univers désormais très médiatique des chefs de cuisine, un débat couve, qui a gagné jusqu’à la sphère publique. Depuis que les femmes connaissent à leur tour une ascension (récente) en cuisine, une question se pose, qui vient réveiller l’insoluble querelle de l’accord féminin-masculin : doit-on, pour les désigner, écrire chef de cuisine, ou bien cheffe de cuisine ? Sur le compte Facebook de Food&Sens, vous avez été nombreux à vous manifester à ce sujet, tendant plutôt pour «  femme chef », compris comme un invariable asexué. On se propose ici de creuser ce débat orthographique, qui en dit long sur un certain malaise face à la langue française – et à son flou disparate sur ce sujet, nourri par une inclusion linguistique à deux niveaux. Décryptage.

Sont-elles chefs ou cheffes ?

Enfant, je me souviens que déjà, la violence du patriarcat linguistique m’avait frappée. Par un beau matin d’école, alors que j’étais en primaire, mes camarades de classe filles et moi-même avions découvert, non sans une certaine révolte, les règles grammaticales dérangeantes que la langue française déploie quand il s’agit d’accorder. Il nous était expliqué, par une enseignante elle-même agacée de cet état de fait, que dans un groupe de dix personnes par exemple, il suffisait qu’il y ait un seul garçon pour que l’accord se plie au masculin. 9 filles + 1 garçon donnaient ainsi « ils ont mangé », ou « ils étaient fatigués », alors que 9 filles sans garçon donnaient « elles ont mangé » ou « elles étaient fatiguées ». Force était de constater l’imposition d’une supériorité grammaticale indue du garçon sur la fille – pour ne pas dire du garçon sur les filles.

Bien sûr, une langue est ce qu’elle est (un héritage, mais aussi un matériau mouvant, sujet à évolution). Une fois dépassé le débat légitime de l’iniquité d’un tel traitement du féminin par rapport au masculin, on finit par passer outre (à tort ?), conscient(e)s que le langage est avant tout supposé être un outil, et qu’on ne peut faire l’économie de son utilisation (même si son inévitable usage implique que la femme doive endurer ces règles qui lèsent son statut). Pour autant, la question demeure. D’autant qu’ailleurs, le sujet a été traité autrement. En anglais en effet, les plis du langage ne contiennent pas ces traces d’un patriarcat larvé, hérité de temps moins heureux pour les femmes et leur statut. Les mots sont neutres, invariables, asexués (ou en tout cas dénués de cet enjeu sexué). Ainsi, « a chef » désigne aussi bien une chef femme qu’un chef homme. Débat clos. L’importance ne portant pas sur le genre, mais bien sur la fonction, voire sur l’information.

En d’autres termes, on pourrait dire qu’il manque un genre au français : le neutre. Ce genre existe en allemand, en latin ; et présente une commodité non négligeable. L’anglais l’a adopté aussi à sa façon ; sans qu’il y ait de neutre à proprement parler, l’invariable des adjectifs et des noms (ou l’absence d’accord) règle une fois pour toute le sujet. Autrement dit, en anglais le masculin ne surclasse pas le féminin. (« These talented chefs » pouvant tout à la fois désigner « ces femmes chefs talentueuses », que « ces femmes et hommes chefs talentueux », ou encore « ces femmes et un chef talentueux », par exemple.

A la faveur de ce modèle, on pourrait donc pencher pour « une chef » en français. N’est-ce pas là en effet une façon simple de couper court au débat, en évitant une fois pour toutes l’épineuse problématique de l’accord ? Oui mais voilà ; on dit bien « une actrice », et non pas « une acteur » ou « une acteure ». On dit aussi « une factrice », et non pas « une facteur » ou « une facteure ». Quid de « la maire », ou de « Madame le Maire » ? « Une écrivain » ou « une écrivaine » ? Voire même, « elle est un écrivain » ? Une rédactrice en chef, une rédacteur en chef, ou une rédactrice en cheffe ? Ah, l’absurde complication du français, langue certes riche et fabuleuse, mais potentiellement alambiquée et spécieuse… Et c’est sans mentionner ses diverses apories, qui participent au trouble autour de ce sujet : un marin, une marine ? Ça ne fonctionne pas, le mot « marine » désignant autre chose. Un docteur, une doctrice ? Étrange. Une doctoresse, plutôt ? Pourquoi pas, encore que le suffixe « esse » puisse potentiellement sonner comme péjoratif et diminuant. Devrait-on dire une docteur ? Ou une docteure ? Le débat est sans fin… 

De fait, faudrait-il refuser, ou au contraire valider les habitudes envers certains us et coutumes linguistiques, qui passent bien parce qu’ils sont tombés dans l’usage (les avocates, les magistrates, etc), alors que d’autres mots féminisés sonnent beaucoup moins bien (les cheffes, voire les chèffes, ou encore les cheftaines) ? S’agit-il de laisser à chacune la possibilité d’opter pour sa préférence personnelle (certaines tiennent à la marque de féminisation de leur fonction, jugeant que cela défend une place nouvellement acquise, ou une spécificité féminine à ne pas gommer ; tandis que d’autres s’en défont), au risque d’une inextricable cacophonie orthographique ? Ou doit-on plutôt adopter ce que prône la tendance massive (à condition que cette tendance soit édictée par les femmes elles-mêmes) ? Sommes-nous dans une volonté politique, ou dans des spécificités par pays francophone ? (Le Québec diverge de la France sur la question des accords.) Sommes-nous, sinon, face à un effet variable selon la profession ? (Dans le monde universitaire français par exemple, la plupart des femmes tiennent à la marque du féminin, écrivant « professeure » plutôt que « professeur ».) Devrait-on engager une refonte complète de la fameuse question de l’accord, au nom de l’égalité ? Si oui, dans quelle direction ? À moins qu’il ne faille renoncer au changement, par commodité, et inviter tout le monde à se concentrer seulement sur le caractère utile de la langue, en ignorant le message subliminal véhiculé discrètement par le poids de l’accord ? Dernière question, et non des moindres : doit-on considérer que l’absence d’accord gomme le versant féminin, au profit du masculin pris pour point de référence ? (Le français utilisant le masculin aussi comme genre générique, pour palier à l’absence de neutre ; ce qui fait qu’a priori, « un écrivain » désigne à la fois une femme ou un homme). Dit autrement, doit-on rester sur ce concept somme toute patriarcal, qui fait du masculin le point de départ, duquel découle ensuite le féminin ? Le féminin ne peut-il pas plutôt se définir à partir d’un point neutre, hors du masculin ?

Mais quoi, un métier est un métier. En soi, il n’est ni un sexe, ni l’apanage d’un genre. Et pourtant ; parce que certains métiers restent encore surtout exercés par des hommes (ce qui rend leur univers potentiellement plus difficile d’accès pour les femmes, voire moins incitatif pour elles), ils deviennent du même coup un enjeu linguistique (et par extension, un enjeu sociétal, genré, politique, ou historique – celui de l’histoire du patriarcat). Ces crispations orthographiques en disent long, car loin d’être juste un problème de forme, elles véhiculent au contraire une portée ontologico-sociologique profonde. Voilà donc que les métiers anciennement occupés par des hommes cristallisent les querelles intestines de la langue française ; des règles d’accords qui, disons-le, ont jadis été fixées… par des hommes. À leur avantage, qui plus est. 

« A chef » ou « a chef », femme ou homme, l’anglais ne distingue pas. Bien sûr, il m’est arrivé de souhaiter ardemment à ma langue une même neutralité inclusive. Ou bien, une même possible féminisation systématique. Il m’est surtout arrivé de rêver que la question ne se pose plus. Car cela voudrait dire que le débat est (enfin) derrière. Ce qui arrivera quand les femmes auront leur pleine place. Surtout, ce qui arrivera quand le talent cessera d’être vu comme une question de sexe.

Par Anastasia Chelini

 

Pour aller plus loin :

– L’Académie Française et la féminisation des métiers : ce qu’elle en dit 

– Le gouvernement français a créé quant à lui en 2015 une commission d’enrichissement de la langue française.

Voir les commentaires (21)

  • "Ainsi, « a chef » désigne aussi bien une chef femme qu’un chef homme."

    lol !!
    Et "actor / actress" ? "prince / princess" ? "heir / heiress" ? "waiter / waitress" ? "enchanter / enchantress" ? "god / goddess" ? "lion / lioness" ?
    Et tellement (!!!) d'autres noms...

    En français, pourquoi le neutre prend-il la forme du masculin ? Parce que c'est plus simple comme ça, tout bêtement. Certainement pas parce que l'homme est + musclé des bras que la femme ou je ne sais quelle ineptie.

    Le + marrant c'est que l'anglais est cité ici comme "exemple à imiter", alors que les femmes demandent souvent qu'on utilise la forme masculine pour parler d'elles, car elles trouvent la forme en "-ess" comme offensante. Bref, tout l'inverse de ce que les femmes veulent en français.

    Et puis, vous ferez comment quand les "non-binaires" vont vouloir imposer leur truc ? Vous allez aussi modifier la langue et la complexifier encore davantage, pour faire plaisir à 3 personnes ? ...

    Qu'on adopte un genre neutre en français ne me paraît pas poser de problème. Mais bon, s'il a disparu du latin, c'est pas sans raison...

    Il faut réfléchir, rester prudent, et ne pas céder au diktat de quelques fanatiques.

  • Quelle est la différence entre « une cheffe » et « un chef » ? Selon moi ces 2 termes désignent strictement la même chose, à savoir « la personne qui dirige »... pourquoi vouloir absolument marquer le fait d’être une femme ou un homme quand il s’agit du chef ?
    Je suis moi aussi une personne, bien qu’étant de sexe masculin, mais cela ne me dérange pas et je me vois mal chercher le masculin de (voire masculiniser) chaque mot féminin qui pourrait me caractériser (une sommité, une entité, une tâche, une crème...). De même, je me vois mal m’interdire de devenir une sommité dans un domaine sous prétexte que ce mot est féminin.

  • Je suis devenu apprenti pâtissier boulanger pour faire de l'information et la dénonciation des traffic ant dans les cuisine de l'Aveyron ouqui mon viole et bisute parce que j'etais l'ouvrier de Marcel rey et le fils de Carmen reynier qui mon rendu somnambule et mythomete parce que je n'arriver plus à me défendre moi et ma maman Aline rey la petite fille de Marie Jeanne bras

  • BONJOUR A TOUS
    J'ai trouvé cela très intéressant, par ses temps
    Difficiles,rions un peu,même un peu plus car cela
    Fait du bien à notre santé. Une petite anecdote à
    Ce sujet chef ou cheffe,nous avions créé une association de femmes cheffes d'entreprises à Luxembourg en 2004&nous avions largement été
    Critiqué par la presse.pour la part je suis une formation de cuisine à Bar-le Duc .la prof est une
    Femme
    Si je dois lui transférer un courriel, je dis cheffe
    Et pourquoi pas??
    Bien à vous.
    EMMA

  • Bonjour (re)
    Il existe aussi ce mot : "Cheftaine" de l'ancien français "chevetaigne" pour " capitaine " (on retrouve le latin " caput " pour la tête) (Larousse) . Il y a donc bien une version féminine pour désigner une chef(fe), qui plus est usité dans un milieu plutôt classé comme conservateur...
    Qu'en pensez-vous?
    Bonne journée.

  • Bonjour,
    Le mot chef pourrait être abordé dans son étymologie: le "chef " désignant le sommet de la tête, d'où les mots "couvre-chef " "chef-lieu", ou bien des expressions comme "de son propre chef ", " derechef " ou bien encore " chef d'accusation " autrement dit, l'accusation qui prédomine... donc métaphoriquement, on désigne par CHEF une personne occupant la plus haute place... d'où, peut-être la difficulté de féminiser un mot masculin qui désigne une partie de la tête, qui du coup, lui est un mot féminin...
    Alors Chef ou Cheffe? quoiqu'il en soit, derrière la fonction il y a toujours une personne...

    Cheffe conviendrait parfaitement... après tout, pourquoi pas?
    En vous souhaitant une bonne journée.

  • Bonjour

    Après avoir pris le temps de lire ce long texte sur Chef ou Cheffe, je n'en sait pas plus. Comme dit plus haut " Didier charles " beaucoup de Bla-Bla-Bla sans nous donner la réponse exact.

  • C'est vraiment une vision très féminine de se sentir écrasé par le patriarcat !
    On peut le voir aussi autrement : en français, les hommes sans femmes n'ont pas de terme spécifique pour eux, contrairement aux femmes où l'ont peut les distinguer spécifiquement (ils pourraient crier à l'injustice).
    En anglais, on ne s'indigne pas de l'imprécision de THEY (l'équivalent de ILS en français). En fait le problème, c'est que plus une langue ajoute de la précision, plus il y a de gens pour râler qu'ils ne sont pas traités pareil façon court de récré. La langue n'a pas pour but de mener un combat de coq sur la supériorité des uns sur les autres mais une compréhension entre individus. Mais c'est sur, pour assouvir le problème d'égo des femmes (que je suis), la solution serait d’infliger une hausse de complexité de la langue avec un niveau de genre supplémentaire. Absurde selon moi.
    Une fonction, un métier, c'est pas genré (comme chef, témoin, etc). Point.
    Une femme chef (pas cheffe) ne devrait pas s'interpréter comme dégradant.

    • Merci Carole pour cette bouffée d'air frais !
      Quand l'écriture inclusive bafoue la langue française pour nourrir le feminisme déplacé ...
      A toute celle qui n'auront pas compris qu'on peut être contre cette forme de féminisme sans être un ardemment convaincu par l'absolu nécessité d'un égalitarisme total entre homme et femme, je vous recommande la lecture de "Adieu mademoiselle, la défaite des femmes" d'Eugénie Bastié !
      Bonne journée à toutes et tous !

  • Pourquoi ne pas considérer la chef/le chef comme une précision dans la langue que d'une discrimination. Car "a chef" en anglais soulève une question parle-t-on d'une femme ou d'un homme. Le français se passe de cette question car il est précis.

    Comme le demande quelqu': Quel est le féminin de chef

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