©Texte et photos : Julie Limont
J’ai rencontré David Bizet un samedi matin d’octobre 2016, sur une aire d’autoroute, au hasard d’une pause café en chemin vers les Journées Gastronomiques de Sologne, à Romorantin. Alors chef à l’Orangerie du George V, il était en lice pour la première édition du Championnat du Monde du Lièvre à la Royale, imaginé et organisé de main de maître par Thomas Bouillaut, y cuisinant un spécimen qu’il avait lui-même chassé, et en sortit vainqueur.
Je retrouve, deux ans et quelques mois plus tard, un homme toujours mu par une passion viscérale, dans sa nouvelle, sublime et mythique maison de la rue Lamennais, Le Taillevent. Le Chef est posé, ancré, dans la sérénité limpide de qui sait être au juste endroit et une détermination sans faille.
Ci-dessus le chef David Bizet et ci-dessous son sous-chef Antoine Guichard
Ci-dessous son deuxième sous chef David Baptiste
Il m’explique alors combien pour lui cette adresse est une chance, un désir, un choix. Elle est son premier trois macarons Michelin, où il fit ses armes en tant que commis au sortir de l’armée, alors conseillé par Jean-Jacques Mathou, qu’il épaulait dans les cuisines du Président du Sénat, et qui, connaissant leur passion commune pour l’art de la chasse, l’aiguillera vers Philippe Legendre, MOF et alors chef de cet établissement emblématique. Il ne cessera d’y officier dans la conscience de participer au rayonnement d’un lieu unique, référence tant en France qu’hors de nos frontières, et précurseur sur bien des plans, puisque premier restaurant à s’exporter, avec Le Taillevent Robuchon, et à s’affirmer dans des accords mets&vins qui s’expriment encore et plus que jamais aujourd’hui avec une cave aux millésimes d’exception.
Dressage des amuse-bouches
S’en suivra son départ pour le George V, aux côtés du même Philippe Legendre, en 1999, et l’ouverture de L’Orangerie, dont il sera le chef. L’aventure sera riche d’enseignements mais David est profondément en quête d’identité. De fait, malgré les nombreuses propositions résonnant à son désir de quitter l’avenue George V, celle de prendre les rênes du Taillevent fut une évidence : une maison historique, attachante, où en 50 années sept chefs seulement, pour lesquels il éprouve le plus grand des respects, se sont succédés, et la présence déterminante d’Antoine Pétrus, directeur général doublement MOF (sommellerie et maître d’hôtel), avec lequel il souhaitait ardemment collaborer. La fluidité entre les deux hommes est immédiate, s’exprimant dans leurs vision et goût communs du savoir-être et du service, excellence à la française s’il en est, se voulant tout à la fois créative et dans la précaution de ne trahir ni abîmer l’histoire, et surtout leur désir de faire vivre cette maison, avec application et implication, dans la durée, comme si c’était la leur.
Le plaisir des clients est ici au cœur des préoccupations, et les habitués, côtoyant parfois les lieux depuis près de 40 ans et encore aujourd ‘hui plusieurs fois par semaine, ne cessent de pousser au plat d’après.
David est avant tout un cuisinier. Loin d’être obnubilé par les réseaux sociaux et autres interviews à tout va (mille mercis pour ce temps accordé), il reste un passionné des beaux produits et dans ce besoin inné d’être au milieu de son équipe, à désosser, parer, éplucher, ou peaufiner un geste, dans la précision des intentions et la transmission de cette intelligence du vivant, mouvance des produits qui doit se ressentir avec justesse et perfection au passe, avant l’envoi en salle. Tous sont d’ailleurs encouragés à s’essayer à l’art du dressage, sous l’attention et le regard bienveillants du chef ou de l’un de ses sous-chefs, Antoine Guichard et David Baptiste.
« Il n’y a qu’un seul chemin, m’affirme-t-il, se dire que l’on va réussir, mais réussir ensemble »
La famille Gardinier, propriétaire du lieu, lui laisse carte blanche sur l’expression et la
gestion du restaurant, et le chef n’envisage pas les choses autrement que dans le partage et le plaisir fédérateur de vivre toutes les richesses que procurent ce métier, si difficile qu’il soit, en équipe, avec « ses gamins », comme il les surnomme affectueusement.
Dans sa cuisine, rien n’est compliqué : les valeurs, de respect, concentration, convictions à la recherche de l’excellence, d’exigence, sont communes et tendues vers cette quête d’émotions pures, ces « instants mémoire », comme il les définit, qui seuls savent figer une sensation dans le temps, malgré cette magie de l’évanescent, de la dégustation d’un grand plat, d’un grand crû, le plaisir d’une matinée de pêche ou de chasse, ou le bonheur simple de la douceur d’un après-midi en compagnie de ses filles.
Conscient d’avoir encore beaucoup à construire, asseoir et affirmer, l’histoire est donc en marche pour Le Taillevent, avec ce chef talentueux, attachant et émouvant.
Toujours en amuse-bouche, betterave et haddock au lait fermenté, sarrasin torréfié
Tourteau de casier, eau de citron, floralie acidulée, chou-fleur du potager
Poireau en croûte de sel truffé, mimosa d’agarics, essence sauvage poivrée
Asperges vertes à la vapeur épicée, oeuf fumé, oignon doux à l’orange sanguine
Oeuf de poule fumé, petit pois, asperges, bouillon de foie gras au gingembre
Ravioles de langoustine, orange sanguine à la coriandre, consommé herbacé
… En version sur mesure pour un habitué …
Merlan de ligne à la mélisse, morilles au lard de Colonnata, pommes de terre de Noirmoutier
Préparation du Pigeon au sang, rôti à l’ail des ours, confit d’olive noire, navet malté
Coup de feu pour le dressage du rouget barbet
Rouget barbet confit, concentré torrefié, butternut et olive noire
La daurade Royale en dressage sur le passe-plat
Daurade Royale à l’unilatérale, bouillon d’une soupe de poissions au safran, oursins
Préparation de l’assiette de Saint-Pierre
Saint-Pierre au plat, orange et coriandre, jus de crevettes grises à la citronnelle
Ris de veau laqué, réglisse, artichaut à l’oseille
TAILLEVENT PARIS