Le quotidien Régional Ouest France est allé à la rencontre du chef breton Hugo Roellinger dernièrement élu » Chef de l’Année » au guide Gault-Millau 2022. Découvrez plus intimement ce personnage discret et en marge du milieu de la gastronomie.
Récemment consacré chef de l’année par le prestigieux Gault & Millau, Hugo Roellinger surprend grâce à sa cuisine poétique qui cherche à raconter son territoire. Ancien officier de la marine marchande, le chef cancalais assume l’héritage de son père, Olivier Roellinger, et affirme un discours engagé sur la Bretagne, la cuisine et l’agroalimentaire.
Le Gault & Millau vient de vous distinguer chef de l’année. En 2019, vous aviez obtenu deux étoiles au guide Michelin. Que représentent ces récompenses ?
Dans l’univers de la gastronomie, il existe deux consécrations si on les recherche : cuisinier de l’année au Gault & Millau et les trois étoiles au Michelin. Ces reconnaissances ne sont pas mon moteur. Il s’agit néanmoins d’une satisfaction personnelle, pour ma famille et nos équipes. J’y vois aussi une fierté pour Cancale et la Bretagne.
« J’aborde ce métier en toute liberté. J’assume de dire qu’une partie de la gastronomie actuelle me dérange. »
Ces titres rythment la vie du microcosme culinaire dont vous semblez en marge…
Ma grand-mère me disait toujours : « Bien faire et laisser dire ». Dans la famille, nous sommes discrets, prudents aussi, dans les médias et sur les réseaux sociaux. On se concentre sur notre travail. On peut exercer ce métier et bien le faire sans être du sérail. Je n’épouse pas les codes du milieu et n’éprouve pas de fascination pour la veste de cuisine ou cette conception de la brigade œuvrant dans une hiérarchie quasi militaire. Ça ne me correspond pas.
J’ai de très bons amis cuisiniers mais aussi des amis marins. J’aborde ce métier en toute liberté. Ça en énerve certains mais ça fonctionne. J’assume de dire qu’une partie de la gastronomie actuelle me dérange. L’agroalimentaire réussit à pervertir nombre de chefs par l’appât du gain…
Gault & Millau a souligné votre « bonne attitude ». Comment évoluez-vous dans une région souvent critiquée pour son agriculture productiviste et sa pêche industrielle ?
Nous avons sacrifié la Bretagne. Cette région était pauvre. Dans ce pays de marins, on produisait du chou-fleur et du poireau. Pourtant, il y avait une terre fertile et un climat idéal pour la culture. À l’après-guerre, il a fallu nourrir la France. Les décideurs de l’époque ont dit : « Vous, les Bretons, vous allez produire beaucoup pour devenir le garde-manger du pays ». Alors, on a produit beaucoup quitte à polluer les cours d’eau, les terres, les paysages… On ne peut pas jeter la pierre aux décideurs de cette époque.
Ce qui est important, c’est la dynamique actuelle. J’ai beaucoup d’espoir. Les jeunes sont décidés à inverser les tendances et à faire de la qualité plutôt que de la quantité. On peut atteindre une écoresponsabilité. Un chef doit avoir des convictions. Notre métier consiste à nourrir l’autre. Nous avons la responsabilité du bon gustatif, du bon pour la santé et l’âme de l’autre tout en préservant la planète. Un cuisinier, s’il se définit ainsi, ne peut pas se contenter de mettre des barquettes au micro-ondes…
« Lorsque j’entre dans un supermarché, je me demande comment on peut accumuler autant. »
Les défenseurs du modèle agricole intensif vous rétorqueraient qu’ils produisent de la nourriture bon marché pour le plus grand nombre tandis que vous faites une cuisine haut de gamme destinée à une élite…
Il y a une différence entre s’alimenter chez soi et venir vivre une expérience dans un restaurant. Je pratique des prix qui sont loin d’être abordables pour tous. Certaines personnes vont venir manger ici une fois dans leur vie, d’autres, tous les mois. L’expérience que je propose permet de faire vivre une économie vertueuse. Notre maison défend la notion de durabilité humaine. Nous avons, par exemple, peu de turnover dans nos équipes parce que nous respectons les temps de travail et proposons des salaires qui permettent à nos salariés de vivre ici. Autour du restaurant, il existe un microcosme de fidèles producteurs, maraîchers, maçons, architectes, électriciens…
L’agroalimentaire pratique des prix qui nous ont fait perdre la vraie valeur des choses. Une botte de ciboulette, ça ne vaut pas rien. Il faut du temps pour la cultiver et la ramasser. Quand vous achetez du bio en supermarché ou sur un marché, ce n’est pas la même chose. Les marges de la grande distribution sont énormes. L’argent ne va pas aux bonnes personnes… On pourrait s’alimenter de manière saine quotidiennement au même prix que le « poison ». Lorsque j’entre dans un supermarché, je me demande comment on peut accumuler autant. Imaginez le bilan carbone de tous ces produits…
Votre père tient aussi ce discours militant. Quand on est le fils d’Olivier Roellinger, dernier chef breton à avoir obtenu trois étoiles…
Le seul.
« J’ai eu la chance de ne jamais cuisiner avec mon père. Cela m’a permis de prendre ma liberté. »
En prenant sa suite, vous n’aviez pas le droit d’être moyen…
C’est difficile de se faire un nom, encore plus de se faire un prénom, comme l’écrivent souvent les journalistes. D’autres disent que je suis né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Être un « fils de » a des avantages et des inconvénients. J’ai eu la chance de ne jamais cuisiner avec mon père. Cela m’a permis de prendre ma liberté. Lui m’a laissé travailler, quitte à me voir faire des conneries… Je n’avais pas le droit à l’erreur. Je suis fier d’avoir prouvé à mes parents que je suis capable de poursuivre l’aventure en famille.
Mais un chef, seul, n’est rien. J’ai la chance de pouvoir compter sur les fidèles équipages de nos entreprises, mon clan, ma famille. Ma sœur, avocate, est revenue pour m’aider à reprendre le paquebot. Avec son énorme force de travail, elle gère les épices. Ma femme est aussi désormais directrice des Maisons de Bricourt. Quand les gens viennent ici, ils sont à la table de la famille Roellinger.
La cuisine de votre père était teintée de références historiques. La vôtre est plus poétique. Comment avez-vous développé votre identité ?
La cuisine doit être l’expression d’un territoire naturel, des humains qui le composent mais aussi de son histoire. En ce qui nous concerne, il s’agit de Cancale et de Saint-Malo. Ce territoire a été façonné par l’histoire de l’aventure maritime. Avec mon père, nous partageons ce cadre d’expression mais nous l’exprimons différemment à des époques distinctes. Son inspiration venait des récits de voyage. Il voulait faire découvrir les épices venues du monde entier ayant transité ici. Il voulait raconter le métissage, l’envie d’ailleurs, l’ouverture sur l’autre et la beauté de notre territoire.
Trente ans après, on connaît ces saveurs. J’ai baigné dedans. Les épices figurent dans mon ADN. Mon père me dit souvent que je n’en parle pas assez, pourtant elles sont présentes comme une évidence dans ma cuisine à travers cette chaleur, cette longueur en bouche, ces touches piquantes…
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Photo @anneclaire.heraud