Hélène Clément – Fée des réseaux sociaux des Grands chefs ! … elle gère leur @réputation.

 Hélène Clément nous a donné rendez-vous un beau matin ensoleillé du mois Août à quelques pas seulement du Palais Royal, sous les arcades du café Nemours. Coïncidence ou non, son agence s’appelle Palais Royal (www.agencepalaisroyal.com) ! Notre échange fut long, intense et passionnant au point que nous nous sommes revus plus tard dans l’après-midi pour terminer notre discussion. Il faut dire que le sujet était vaste, mais qui de mieux que la Fée des réseaux sociaux des chefs pour répondre à nos questions sur l’@réputation et sur la communication des chefs !? 

Pouvez-vous, en quelques mots, nous dire qui vous êtes … comment vous vous positionnez dans ce nouveau métier ?

J’ai été élevée dans l’univers de la gastronomie, je suis la fille de Marie-Christine et Didier Clément du Grand Hôtel du Lion d’Or en Sologne mais on me connait aussi car je suis la fondatrice de l’agence Palais Royal, spécialisée dans l’accompagnement des chefs et de grandes maisons de vins et champagnes sur les réseaux sociaux. Je travaille notamment pour la Maison Troisgros, pour le groupe Guy Martin et Pierre Gagnaire à la Grande Maison de Bernard Magrez.

Qu’est-ce qui vous a orientée vers ce secteur de la communication digitale pour chefs étoilés et comment avez-vous débuté ?

C’est toute une histoire et un peu un hasard… J’étais étudiante à l’école de commerce de Bordeaux en master management de vins et spiritueux et je devais commencer un stage à l’Union des Grands Crus de Bordeaux mais on m’a finalement annoncé qu’on préférait prendre un homme plutôt qu’une femme. Sans stage à la rentrée, je n’avais plus le droit de suivre les cours. Quelques jours plus tard, j’étais repérée sur Twitter par un jeune homme qui avait une agence de communication digitale spécialisée dans les spiritueux, l’expérience me semblait intéressante. Un an plus tard, j’ai rejoint les équipes de 14 Septembre, une agence de RP offline qui s’occupait notamment de Taillevent et de la Pâtisserie des Rêves mais aussi de Sébastien Gaudart et de Dammann. Un poste intéressant mais tourné exclusivement sur les relations presse, le online me manquait. Après quelques mois, l’agence digitale dans laquelle j’avais travaillé à mes débuts m’a proposé de développer le segment vins, défi que j’ai accepté et relevé mais suite à un désaccord stratégique, j’ai finalement décidé de créer ma propre société et les clients m’ont suivie ! J’aimais bien cet univers des vins et des spiritueux, entre autres pour les contraintes qu’apportait la loi Évin et l’esprit créatif que cela nécessitait, mais je me suis petit à petit naturellement tournée vers les chefs.

Qui a été votre premier client et quels ont été les challenges que vous avez dus surmonter ?

J’ai eu la chance de démarrer avec des crus classés de Bordeaux, le Château de Fieuzal et Domaine de Chevalier puis le chef Michel Troisgros qui semblait amusé par cette histoire de communication online et de me voir passer tant de temps sur mon téléphone, m’a demandé de travailler pour lui. Par la suite, David Sinapian qui n’était pas encore président des Grandes Tables du Monde m’a fait confiance pour développer la stratégie de communication online de l’association. D’une manière générale ce qui est difficile pour moi, c’est que je suis une femme dans un monde d’hommes, que mes concurrents sont des hommes et qu’il faut avoir du caractère pour tenir le coup. J’ai la chance d’avoir une relation de grande confiance avec mes clients.

Qu’est-ce que l’@réputation ? En quoi est-il important de communiquer sur les médias digitaux pour un chef ?

L’@réputation c’est ce qui se dit de vous sur internet et la stratégie mise en place pour la maitriser. Il est toujours bien de garder la main sur les médias en ligne car il peut se dire tout et n’importe quoi. C’est aussi une façon d’être au plus proche de vos clients et de vos prospects. Pour moi, le plus important, c’est vraiment l’histoire que vous allez raconter et l’univers que vous allez créer, je ne prends la place de personne, je viens en complément de la stratégie de RP, du site internet, etc…

Comment faites vous pour que la communication du chef soit fidèle à l’image de lui-même ?

J’explique à mes clients que l’on doit d’abord apprendre à se connaître mutuellement. En général je vais passer du temps avec eux, le temps d’un service ou même une journée à leurs côtés. C’est un métier difficile, tout le monde a le nez dans le guidon, j’ai un œil neuf et extérieur qui permet de leur dire « attends ça c’est génial il faut absolument en parler ! ». Enfant, j’étais toujours à l’hôtel ou en cuisine, je connais les codes de ce métier, d’un service en cuisine et en salle, je sais où se passe l’action, je sais me faufiler sans déranger et d’un autre coté, du point de vue digital, je sais ce qui va fonctionner. Je prends des notes, je fais des photos et après on fait le point ensemble.

Avec la Maison Troisgros, il y a des moments génialissimes comme quand César et Michel sont en cuisine en train d’échanger sur la création d’un plat, je sais que ça peut cartonner, ce sont des instants magiques. J’ai le privilège d’y assister, autant le partager sur leurs réseaux sociaux.

Je capture des moments de vie qui me rendraient fan derrière mon ordinateur. En fin de journée, j’ai environ 400 ou 500 photos et vidéos principalement réalisées avec un appareil photo ou un iPhone pour plus de réactivité et d’authenticité. C’est beaucoup de responsabilité de se faire passer pour tel ou tel chef, les vrais gens pensent que sont vraiment eux derrière leur compte Facebook, Twitter, Instagram…

L’@réputation passe t-elle aussi par vos relations médias ?

Bien sûr. Je travaille essentiellement avec les médias en ligne, le reste c’est le job de la RP. Ma partie c’est les blogueurs, les instagrameurs, les influenceurs. J’ai lancé mon blog en 2011 et bien que j’ai un peu moins le temps de m’en occuper ces derniers temps, cela me permet d’entretenir des relations proches avec ce milieu et là aussi d’en connaître les codes, les do & don’t que ne comprennent pas forcément les agences qui débarquent sur le digital parce que c’est à la mode.

Après, la mission et les objectifs sont définis dès le départ avec le client : soit je m’occupe des réseaux sociaux, soit je vais former les personnes en interne car elles ne maitrisent pas tout, combler leurs lacunes et recadrer la stratégie de communication, soit je les accompagne sur une mission eRP complémentaire en faisant venir des blogueurs ciblés et de qualité.

J’aime beaucoup aussi faire du live sur un événement précis, c’est un vrai savoir faire que de raconter une histoire différente mais complémentaire sur différents medias sociaux et de répondre à tous le temps d’une soirée.

Comment arrivez-vous à faire comprendre à un chef l’importance d’être présent sur les réseaux sociaux et le web ?

En 2016 les chefs l’ont compris d’eux-mêmes mais ça commence souvent par une comparaison avec un autre chef « Tiens, lui y est, je veux y être aussi » ou une situation économique compliquée où les réseaux sociaux permettent de reprendre la main et d’apporter un nouveau souffle, une nouvelle image.

J’ai eu la chance de pouvoir choisir mes clients, mais je ne peux pas les forcer s’ils n’ont pas envie. J’aurais adoré travailler pour Yannick Alléno mais il m’a longtemps expliqué qu’il ne comprenait pas la nécessité de communiquer sur les réseaux sociaux « Tu vois cette fleur, comment on va la sentir sur instagram !? Aucun intérêt… » Il y est finalement arrivé, je n’ai peut-être pas su trouver les mots avec lui…

Pour la communication des chefs, de Facebook, twitter, instagram, quelle est la différence ou la complémentarité de stratégie entre les 3 ?

Ces 3 outils évoluent en permanence mais, pour un événement, je vais préférer utiliser Twitter pour partager les coulisses, les phrases et les moments forts de la soirée accompagnés de photos sur Instagram. Je peux aussi remercier ou me faire repérer des organisateurs d’une soirée grâce aux mentions Twitter.

Sur Facebook j’inviterais plus les personnes à suivre le live sur Twitter ou Instagram durant l’événement et je posterais un récap de la soirée le lendemain en une phrase avec quelques photos. Il ne faut pas trop en mettre.

Instagram est intéressant avec ses stories et sa géolocalisation, à voir selon la volonté du client.

On peut également faire un réel suivi client sur les réseaux sociaux. Par exemple, un client va nous citer sur Twitter en disant qu’il rêve de venir dîner au restaurant. Je vais lui répondre que nous l’attendons avec impatience. Pendant le dîner, il va publier des photos de son expérience sur Instagram avec le tag du restaurant. Je vais ensuite le remercier et, le lendemain, il va encore nous remercier et laisser un commentaire sur Facebook. L’avantage c’est que les clients pensent vraiment qu’ils échangent avec le chef et son équipe, ils sont flattés, c’est complémentaire de leur expérience dans la maison. Ces retombées sont aussi importantes qu’un commentaire sur Tripadvisor, les clients ont de plus en plus le réflexe d’aller voir votre présence sur les réseaux sociaux et ce qu’ont dit les autres vrais clients.

Comment la communication des chefs a t-elle évolué durant les 5 dernières années ?

Les médias sociaux ont évolué très vite et les chefs aussi. Les poids lourds actuels étaient déjà présents sur les réseaux sociaux il y a 5 ans. Jean-François Piège a par exemple très vite compris qu’il fallait être là, sa notoriété n’est pas un hasard, les prime sur M6 l’ont aussi beaucoup aidé.

Guillaume Gomez, a fait la révolution ces derniers mois avec ses selfies, il joue le jeu, il sait mettre en avant ses rencontres et beaucoup d’autres s’y sont mis également.

Quelles sont d’après vous les tendances actuelles, les incontournables de la communication digitale pour les chefs ?

Je demande avant tout quel est le besoin du client, mais les chefs ont tous tendance à vouloir aller sur Facebook. Le problème, c’est que si on ne met pas de budget pub, c’est compliqué. Moi je leur conseille d’aller sur instagram et contrairement à ce que l’on peut penser, on n’est pas obligé de poster que des photos de plats car l’internaute risque de s’ennuyer. C’est tout un univers qu’il faut tenter de lui faire découvrir à travers les publications.

L’incontournable pour commencer, c’est de recadrer son identité. Il existe par exemple plusieurs Guy Martin, l’un est chef et l’autre sportif pilote de moto. Il a donc fallu repositionner le chef Guy Martin en parlant de son histoire, de son origine, de ses engagements, de ses partenaires…

On peut en quelque sorte considérer que l’incontournable est de ne pas faire comme tout le monde ! Je travaille pour deux hôtels restaurants situés dans une même région, au début de notre collaboration, l’un d’eux pensait qu’il allait se retrouver avec le même contenu que le second. Je leur ai expliqué que chacune des maisons a une identité propre, des objectifs différents et une histoire différente.

Pourquoi parle t-on beaucoup des bloggeuses ? Qu’évoquent-elles pour vous ?

Certains chefs ont émergé grâce à la publication de certains blogueurs qui les ont aidé à se faire connaître, c’est formidable ! Toutes les blogueuses ne sont pas négatives ou néfastes comme beaucoup peuvent le penser juste parce que certaines peuvent avoir une méconnaissance du milieu et de ses codes. Elles sont décomplexées par rapport à la presse traditionnelle. Personnellement, je trouve qu’elles sont toutes complémentaires et qu’il y a de la place pour tout le monde. Certaines sont plus pertinentes que d’autres selon les situations. Je vais choisir celles qui correspondent le mieux au chef et à sa maison. Les gens vont habituellement préférer lire une bloggeuse car par rapport à une critique de la presse écrite, on se dit que c’est un vrai avis avec une vraie histoire personnelle et si on aime l’expérience de cette bloggeuse, on va aimer les suivantes. Il y a une fidélisation de l’audience presque automatique.

Quel lien pouvez-vous établir entre la communication du chef et sa philosophie culinaire, ses actions dans la vie de tous les jours ?

L’idée est de comprendre sa démarche et de la retranscrire via les réseaux sociaux sans trop en faire car les fans s’y perdent vite. Ils s’intéressent mais ne veulent pas de prise de tête, après c’est à moi de bien connaitre l’univers du chef, de connaître sa cuisine, ses restaurants et de distiller tout ça sporadiquement et à bon escient… Le compte Instagram d’Alain Passard était assez génial, il voulait éduquer le consommateur avec les produits de saison du marché, c’était beaucoup de travail pour animer le compte au quotidien. A chacun de trouver sa démarche.

D’après vous comment la communication des chefs va t-elle évoluer dans les 5 prochaines années ?

Cela dépendra beaucoup de l’évolution des réseaux sociaux mais en général, j’aimerais surtout que les chefs et les marques comprennent l’intérêt primordial des réseaux sociaux et le fait que c’est un vrai métier qui ne s’improvise pas, que cela nécessite une vraie stratégie. Je passe beaucoup de temps à justifier ma démarche, certains chefs pensent comprendre le fonctionnement des réseaux sociaux parce que leurs enfants les utilisent. Ils sont très auto centrés, il faut leur rappeler que c’est aussi et surtout un travail d’équipe et que derrière tout ça, on tente de vendre du rêve à un potentiel client.

Que pensez-vous de la communication des chefs américains ?

Ils la font en général eux-mêmes, donc leur communication est beaucoup plus spontanée. Daniel Humm était par exemple en France cet été et il n’a pas oublié de publier des photos de son voyage et ses rencontres sur Instagram. Thomas Keller a tout compris, Daniel Boulud est accro à Instagram… Je suis fan que Daniel Boulud le fasse lui même.

S’il y en a un qui se démarque de par sa communication digitale ce serait lequel ?

Thomas Keller est très fort mais je n’ai pas vraiment de plaisir à le suivre. J’ai re découvert Daniel Humm lors de son voyage en France cet été avec ses adresses à Paris et ses chefs préférés. J’ai un réel coup de coeur pour les publications de Will Guidara, le maître d’hôtel d’Eleven Madison. Il n’est pas connu en France mais ses publications ont du sens, un storytelling très à l’Américaine, chaque post est une histoire. En France, Nicolas Chatenier ( GTDM ) m’amuse beaucoup, il est très pointu, il connaît bien l’univers de la gastronomie et des chefs, il publie peu mais reste toujours pertinent.

Vous avez collaboré avec les Relais & Châteaux, univers que vous connaissez parfaitement. Booking et TripAdvisor ont bouleversé le secteur, R&C peine à imposer  sa présence dans le numérique, comment pouvez-vous expliquer ceci ?

Parce qu’ils n’ont jamais voulu travailler avec moi ! (rires) Je crois que Relais & Châteaux considère que c’est le travail d’un stagiaire alors que, pour moi, c’est le travail d’un senior qui doit mener une vraie stratégie online à l’international. Ils se sont quand même améliorés ces derniers mois, laissons leur une chance de nous étonner !

On peut dire que R&C passe à côté de supports de com modernes au travers des réseaux sociaux qui sont porteurs pour les chefs, ne croyez-vous pas que la machine R&C n’est pas assez réactive aux évènements culinaires ?

C’est certainement une volonté de leur part que de ne pas faire de live, c’est un compte international, la problématique est autre, je les laisse vous répondre.

Lors du dîner de gala à l’Opéra Garnier du congrès Relais Châteaux qui avait lieu en France, le dîner était réalisé par différents chefs et les coulisses ont été relayées sur les réseaux sociaux de la Maison Troisgros. Tous les membres présents dans la salle ont mentionné leur présence à cette soirée exceptionnelle en citant le compte de la maison Troisgros, toutes les retombées sont venues chez nous, c’était formidable, de l’extérieur on a cru que c’était un dîner Troisgros.

Les GTDM (Grandes Tables du Monde) durant longtemps n’ont pas cru bon de se soucier des réseaux sociaux et de la com digitale. Aujourd’hui leur présence sur le web est encore assez discrète, n’est-il pas temps pour eux de changer de stratégie et d’être plus présents sur les médias digitaux ?

David Sinapian m’a fait l’immense privilège de me faire confiance alors que je venais de me lancer. J’ai repris la page Facebook, le compte Twitter et réalisé des opérations exclusives en partenariat avec Twitter France, je leur ai laissé un compte Instagram créé par mes soins à près de 20 000 abonnés, fans absolus de gastronomie, et j’ai animé pendant un an un blog orienté sur les métiers de la salle. Je continue d’être membre grâce à la maison de mes parents, membres de l’association depuis 1991, mais ayant quitté et démissionné de mon poste, je ne me permettrais aucun commentaire sur la stratégie de communication online actuelle des GTDM. 

Pour vous, est-ce un avantage ou un inconvénient d’avoir des parents connus dans le milieu ? Ça implique de la retenue ! 

Je le perçois comme ça et justement, je fais très attention car je ne veux absolument pas leur faire de tort. Je suis leurs pas en quelque sorte puisqu’ils ont toujours été très diplomates. Cela étant, ce n’est pas du tout un handicap, au contraire ! Ils connaissent chaque anecdote, chaque histoire, il ont une culture folle de la gastronomie française et m’aident à décoder certaines situations et a avoir du recul. La nouvelle génération ne connait pas toutes ces histoires et beaucoup d’acteurs de ce milieu n’ont pas toute cette culture gastronomique.

Photo à la une © valerie semensatis photographies

Interview réalisée par Guillaume Erblang-Rotaru

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