Il est l’un des chefs les plus riches au monde : le Britannique Gordon Ramsay, star de la télévision et ancien footballeur, nous reçoit dans l’un de ses restaurants : le Hell’s Kitchen du Caesar’s Palace de Dubaï. Avec Jane Witherspoon d’euronews, il évoque sa carrière et sa famille dont la naissance de son cinquième enfant et la politique, notamment le Brexit : s’il a hâte qu’il soit effectif pour que les Britanniques « passent à autre chose et défendent ce en quoi ils croient », il ne craint pas de conséquencesnégatives pour ses restaurants.
Jane Witherspoon, euronews : « Vous nous accueillez au Hell’s Kitchen du Caesar’s Palace de Dubaï. Pensiez-vous un jour en arriver là ? »
Gordon Ramsay, chef étoilé : « Non, c’était inimaginable ! Je suis tombé amoureux de Dubaï il y a 18 ans quand nous avons ouvert au Hilton Dubai Creek. C’était il y a longtemps et regardez aujourd’hui ce que Dubaï est devenue, c’est incroyable ! Pour moi, c’est une ville de gastronomie, extrêmement concurrentielle, un marché immense, énormément d’Européens sont attirés par Dubaï aujourd’hui. Ici, le beau temps est garanti, la bonne cuisine aussi et puis, la plage est magnifique. »
« La compétition est omniprésente »
Jane Witherspoon : « Mais est-ce difficile d’ouvrir un restaurant dans un marché saturé puisque l’offre est tellement riche à Dubaï ? »
Gordon Ramsay : « C’est très difficile parce que la compétition est omniprésente. Les tendances changent tous les jours. Il faut proposer le plat le plus en vue, le plus beau et parfois, le moins cher… Et ce n’est pas possible quand vous dirigez un restaurant. Donc les choses ne vont pas en se simplifiant, disons le comme ça… »
Jane Witherspoon : « Allez-vous tourner l’émission Hell’s Kitchen dans ce restaurant de Dubaï comme vous l’avez fait à Las Vegas ? »
Gordon Ramsay : « Je ne crois pas que je pourrais contrôler mon langage en direct ici. C’est une habitude dans ce métier d’utiliser des gros mots quand les choses tournent vraiment mal en cuisine. Je suis quelqu’un qui a du franc parler, quelqu’un qui agit. On s’est mis d’accord pour les saisons 19 et 20 et on va les tourner au Caesar’s Palace de Vegas. »
Jane Witherspoon : « En quoi est-ce différent de travailler ici comparé aux marchés européen ou américain ? »
Gordon Ramsay : « Il ne s’agit pas que de cuisine, il y a l’atmosphère, l’ambiance, le bar, les boissons, le service, l’étiquette. C’est un marché attirant qui exige beaucoup de prudence, un peu comme à Los Angeles. Ce marché évolue avec les tendances et tout se fait en 18 mois : si après 18 mois ou deux ans, vous vous en sortez plutôt bien, alors vous êtes là pour durer. »
Jane Witherspoon : « Quelle est la place de Dubaï dans le paysage gastronomique mondial ? »
Gordon Ramsay : « Il suffit de regarder le nombre de grands chefs présents ici. Parfois, on a l’impression d’être en plein cœur des Champs-Élysées ; d’autres fois, on se croirait à Londres, quelque part entre Mayfair et Chelsea. Et puis il y a le climat : ici, on peut rester le soir jusqu’à 21, 22 ou 23 heures à prendre un bon repas sans se retrouver sous des trombes d’eau. »
Jane Witherspoon : « Vous avez décroché 16 étoiles au Michelin au cours de votre carrière : cela vous rend-il plus gourmand, plus sage ou voyez-vous cela comme un cadeau empoisonné puisqu’on attend beaucoup de vous ? »
Gordon Ramsay : « Vous savez, l’an dernier, nous avons eu le regret de perdre Joël Robuchon qui détenait 38 étoiles au Michelin. C’était un type extraordinaire, j’ai travaillé avec lui pendant un an. Alain Ducasse lui a 21 étoiles. Alors, est-ce que Cristiano Ronaldo a remporté assez de titres ? C’est une question de passion en fait. Et puis, il ne s’agit pas que de moi. Là juste derrière, il y a une équipe : avec Craig Best ici, Christina Wilson à Vegas, Matt Abé à Londres ou Clare Smyth qui a son propre restaurant maintenant. Donc les règles du jeu sont rudes.
La question n’est pas : « Plus on a d’étoiles et mieux c’est ! » Je pense que décrocher une étoile, c’est simplement la reconnaissance de notre niveau d’excellence : on est récompensé en octobre pour la cuisine que l’on a réalisée l’année précédente. Donc c’est une nouvelle confirmation de la qualité de notre cuisine, mais il ne s’agit pas que de moi, il s’agit de mon équipe, j’essaie juste de faire en sorte qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. »
Jane Witherspoon : « Comment gérez-vous la célébrité que vous apporte votre réussite ? »
Gordon Ramsay : « Vous savez, j’ai une maman formidable qui m’aide à garder les pieds sur terre. J’ai aussi une épouse formidable à mes côtés. Alors, la célébrité… Je suis tellement occupé. Donc je ne sors pas dans la rue pour qu’on m’applaudisse. En réalité, je suis plutôt intimidé quand je sors dans la rue. »
Jane Witherspoon : « Félicitations, votre cinquième enfant vient de naître ! »
Gordon Ramsay : « Oui, le cinquième ! »
Jane Witherspoon : « Vous allez continuer sur votre lancée ? »
Gordon Ramsay : « Je ne crois pas que ce soit une bonne idée… Je pense qu’on leur donne de la stabilité. Cinq enfants, c’est beaucoup ! Et selon moi, aujourd’hui, la pression est beaucoup plus forte que quand j’étais enfant parce qu’ils sont plus facilement distraits. Nous, on n’avait pas cet accès phénoménal à internet.
Il suffit de voir mon assistant qui doit être par ici : à chaque fois qu’il cherche à avoir une copine ou un rendez-vous, il s’affaire sur son téléphone. Dans le temps, faire la cour, c’était important. J’ai trois filles : quand je regarde leur situation, elles ont parfois des petits amis, parfois non, c’est dur pour elles. Donc, oui, les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus facilement distraits que je ne l’étais à leur âge. »
Jane Witherspoon : « Etes-vous un papa dur sur ces questions de petit ami ? »
Gordon Ramsay : « Dès leur plus jeune âge, je les supplie de me dire les choses le plus tôt possible pour que je puisse au maximum les aider. Et ça fonctionne. Alors, est-ce que je suis dur ? Je dirais que je suis très juste avec mes enfants. Très juste et très honnête. Et je veux simplement qu’ils découvrent quelle est leur passion et qu’ils ne se reposent pas sur moi ou sur Tana. Peu importe l’héritage, la célébrité, la fortune, les billets d’avion en première classe : ce qui compte, c’est qu’ils trouvent ce qui les passionne. Meg étudie la criminologie, Holly est dans la mode, Jack veut entrer dans l’armée et Tilly est une rêveuse. Un jour, elle veut être médecin, le lendemain chef. Le jour suivant, quelque chose d’autre… C’est Tilly ! »
Jane Witherspoon : « Je la comprends totalement. Evidemment, vos enfants grandissent dans un monde qui est très différent aujourd’hui. D’ailleurs, parlons du Brexit. Quelles conséquences aura-t-il sur le secteur de la gastronomie ? »
Gordon Ramsay : « C’est une très bonne question. Je crois qu’on a atteint la saturation dans la moyenne gamme des restaurants au cours des trois dernières années. De notre côté, on est + 4,5% depuis un an. Selon moi, il y a beaucoup d’incertitudes sur ce qui va arriver. Je crois que plus vite l’accord sera entériné, plus vite on pourra passer à autre chose et trouver un nouveau positionnement en tant que grande nation. Est-ce qu’il y aura un impact sur les restaurants ? Sur ceux de qualité, non. Sur ceux qui sont peu connus, certainement.
Dans mes équipes, je crois que nous avons environ 72% d’Européens. Si à l’avenir, pour avoir des recrues, on doit revenir au système d’apprentissage britannique et que l’on retrouve cette passion pour la cuisine, je crois que ça ira.
Nous sommes une nation de travailleurs, donc quand l’accord sera entériné et que nous sortirons de l’Union européenne, les choses rentreront dans l’ordre, nous passerons à autre chose et nous défendrons ce en quoi nous croyons.
C’est difficile pour moi parce que je suis à moitié écossais. Je suis né là-bas, mais je n’y ai jamais vraiment vécu.
J’aime la Grande-Bretagne, c’est un lieu formidable pour y grandir, de grandes valeurs, un pays incroyable et ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle « Grande-Bretagne ». Il faut s’en souvenir ! »
Jane Witherspoon : « Vous avez parlé de l’Écosse. Si vous pouviez revenir en arrière, auriez-vous préféré être un footballeur écossais ou un chef ? »
Gordon Ramsay : « C’est vraiment une bonne question. À l’âge de 30 ans, j’aurais clairement répondu un footballeur. Mais à la cinquantaine tout juste passée, je réponds un chef sans hésiter. Dans le foot, il y a l’entraînement, mais pas seulement : il y a la discipline, le professionnalisme, le fait de se tenir à un objectif… Le foot, c’est dur : ça peut s’arrêter en quelques secondes. Pour moi, c’était une blessure, mais il suffit de se reprendre en main et aller de l’avant. »
Jane Witherspoon : « Est-ce que vous vous pincez parfois pour réaliser ce que vous avez accompli ? »
Gordon Ramsay : « Je crois que ce qui alimente mon ambition, c’est notamment la peur un jour de ne plus l’avoir. Et quand on a grandi dans un milieu comme le mien, tout ce qu’on réussit à obtenir, on l’apprécie dix fois plus. Donc cette ambition ne disparaîtra pas. Cela fait longtemps que pour moi, l’argent n’a plus d’importance et ça n’a jamais été ma motivation principale. »