Hier, 7 mai 2017, Emmanuel Macron a été élu 8ème Président de la Vème République. Avec plus de 66% des voix, ce météore de 39 ans accède à l’Élysée au terme d’une trajectoire fulgurante et d’une campagne chahutée. Une certitude sur le nouveau Président : c’est un amateur de vin, comme en atteste l’entretien qu’il nous avait accordé lors de son passage à Bordeaux fin 2016. A relire en intégralité ici. Propos recueillis par Rodolphe Wartel et Jefferson Desport.
Le plus dur n’aura pas été de convaincre Emmanuel Macron de répondre aux questions de « Terre de vins ». Et ce, pour une raison simple : le natif d’Amiens aime le vin. Et l’assume. À 39 ans, il ne se prétend pas expert. Simplement amateur. Curieux. Et surtout prêt à le défendre, comme il l’a montré lorsqu’il était ministre de l’Économie. Les vignerons le savent, malgré l’opposition ferme de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, la loi Macron leur a apporté une avancée importante : l’assouplissement de la loi Évin. Une mesure destinée à faciliter la communication autour de l’oenotourisme. Raison de plus pour nous de le rencontrer. Finalement, le plus dur – et c’est logique – aura été de trouver un moment dans son agenda surchargé de candidat à l’élection présidentielle pour évoquer ses appellations favorites, sa vision et l’avenir de la viticulture. Son déplacement à Bordeaux, le 14 décembre dernier, nous en a donné l’occasion. En milieu de matinée, nous nous sommes donc retrouvés sur les allées de Tourny, au Café Bellini, où une dégustation à l’aveugle l’attendait également. Entretien.
Votre passage à la banque Rothschild, un acteur par ailleurs important du monde des grands crus – Lafite, Mouton, Clarke… -, vous a-t-il rapproché de l’univers du vin ?
J’en étais déjà proche avant. J’ai été élevé par des parents qui ont un certain nombre de bouteilles à la cave. Et j’ai toujours eu le goût du vin. En blanc, ma préférence va généralement au bourgogne. Et en rouge je suis plus amateur de bordeaux, même si j’apprécie de plus en plus les vins de la vallée du Rhône. Mais c’est vrai que lorsque je suis entré chez Rothschild, j’ai eu l’occasion de former vraiment mon palais, même si je ne buvais pas du Lafite tous les midis, malheureusement ! Nous prenions des vins plus accessibles. J’ai d’ailleurs eu beaucoup de plaisir à échanger avec Alexis Weil qui s’occupe, pour la banque, des transactions liées au vin. Ensemble, nous avons fait quelques explorations du côté de Chablis, notamment…
Le vin est aussi devenu un véritable produit d’investissement. Le regrettez-vous ? »
L’art a le même défi. Il y a un comportement de spéculation sur certains vins, et c’est particulièrement vrai pour le Bordelais, qui s’est très bien organisé. Pour autant, je n’oublie pas la dimension de l’imaginaire. Le vin, c’est l’âme française. Il relève de nos usages. Je fais partie de ces Français pour qui un repas sans vin est un repas un peu triste. J’ai été élevé par mes grands-parents qui avaient cette formule : « Le vin rouge est un antioxydant. » Il n’y avait pas de caractère culpabilisant. (Rires.)
À vous entendre, le vin a donc toute sa place en France…
Bien sûr ! Le vin parcourt notre littérature, notre cinéma, notre imaginaire collectif. Relisez Voltaire ou Rabelais. Je n’oublierai jamais cette phrase de Balzac au sujet de la littérature de Constant. En se moquant un peu des romantiques, il disait : « J’ai l’impression que les personnages de Benjamin Constant ne mangent jamais, ni ne boivent jamais. » C’était pour montrer que ce n’était pas réaliste. Le vin, c’est une corde sensible. Il y a toujours cette espèce de générosité un peu joyeuse qu’offre le vin. Ce n’est pas un alcool qu’on prend pour s’enivrer mais pour être bien à table, et à plusieurs.
On a connu des politiques plus frileux sur ce sujet…
Le vin participe de cet art de la table à la française. Et, pour moi, c’est aussi un vrai levier de modernité. On évoque souvent le modèle de la France. Mais être moderne, ce n’est pas vouloir ressembler aux autres pays. C’est faire réussir notre modèle dans la mondialisation et ne pas en avoir honte. Les autres pays en sont fascinés. Il n’y a qu’à voir comment la Napa Valley essaie de nous copier !
Considérez-vous le vin comme un « outil » de diplomatie ?
C’est un formidable atout pour le rayonnement de la France. Il y a une très jolie phrase de Stendhal qui disait : « On voit les progrès dans la vie religieuse à la façon de manger les œufs à la coque. » C’est cela, l’art français : une science du détail. Quand on mène de grandes négociations internationales, quand on veut rentrer dans une relation particulière avec un pays, la sophistication de l’accueil est fondamentale. Nos interlocuteurs comme les Chinois, les Japonais, qui ont une très grande gastronomie, mais aussi tous les décideurs du Golfe ou les Américains y sont très sensibles. La France déçoit quand elle ne met pas les petits plats dans les grands. J’y tenais beaucoup quand j’étais à Bercy. Quand je recevais nos hôtes étrangers, ils s’attendaient à boire du bon vin, un bon champagne, un digestif. Le vin est un ambassadeur.
Peut-on parler du vin comme d’un phénomène de civilisation ?
Oui. La viticulture irrigue notre territoire. Nous évoquions le Bordelais, le Bourgogne, la vallée du Rhône, mais nous pourrions aussi citer l’Alsace, la vallée de la Loire, le Langedoc, le Jura, et d’autres encore… Le vin permet d’être en société. Quand on regarde l’histoire de la table française, le rapport au vin s’est progressivement structuré, il a pris une place croissante. Il s’est affirmé. Et en même temps sophistiqué : avec lui, on découvre des sensations, des odeurs, on s’ouvre le palais et aux autres. Le vin suscite le dialogue. Il y a là une forme de quintessence, et c’est l’une des spécialités de la culture française.
Dans votre relation au vin, la table est omniprésente. Faites-vous le lien avec l’agriculture au sens large ?
Qui aime la table, mais aussi le vin, n’a plus le même rapport avec l’alimentation. On devient plus exigeant, on s’intéresse notamment aux circuits courts grâce auxquels on peut bien manger sans dépenser davantage qu’en allant au supermarché. Ce faisant, on participe à la transformation de notre agriculture. La filière viticole, qui a su partout en France améliorer sans cesse la qualité de sa production, développer des AOC, monter en gamme, exporter dans de meilleures conditions, est à cet égard un modèle à suivre pour notre agriculture. Nous devons dédiaboliser cette partie de notre économie. J’aime bien le mot « paysan ». Un paysan, c’est quelqu’un qui fait le pays, qui le transforme.
Vos parents médecins vous ont-ils donné leur avis concernant l’assouplissement de la loi Évin que vous avez porté avec la loi Macron ?
Ils aiment le vin comme moi. Ce qui a été modifié dans la loi Évin n’en modifie ni la philosophie ni l’objectif. Mais cette évolution a permis de faire reconnaître la place de l’oenotourisme, et donc la capacité laissée aux professionnels de diversifier leur activité et d’en faire la publicité. Les Italiens se sont formidablement développés grâce à l’« agriturismo ». Je souhaite qu’on puisse l’encourager en France. Nous n’avons rien enlevé à la loi Évin. Nous sommes sortis d’un excès qui ne permettait plus à qui que ce soit de valoriser les terroirs.
Faut-il aller plus loin sur ce sujet de la publicité du vin ?
Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une demande en ce sens. Certains m’ont parlé du souhait d’augmenter la taille de l’étiquette concernant les femmes enceintes. Mais je n’y suis pas favorable. Beaucoup d’autres pays ne le font pas, et ce serait une incohérence par rapport à la politique export. Ceci étant, l’alcoolisme fœtal est un vrai sujet, mais la réponse n’est pas forcément à chercher dans la taille de l’étiquette, plutôt dans la prévention, dans le travail que l’on doit faire dès le Planning familial, mais aussi auprès des professionnels qui accompagnent la grossesse des femmes.
Face aux risques que les pesticides font peser sur la viticulture, que pensez-vous du bio ?
Je continue à aimer des vins qui ne sont pas bio. Naturellement, je trouve indispensable que ce secteur se développe, et il faut l’encourager. Pour autant, il ne faut pas opposer les techniques conventionnelles au bio. Les pesticides soulèvent de réelles questions, et les agriculteurs en sont les premières victimes. Mais la réponse aux pesticides ne passe pas uniquement par le bio mais aussi par l’innovation. On ne gagne en tout état de cause jamais à faire la politique de l’autruche. C’est une question à aborder de manière transparente et dans le dialogue avec toutes les parties prenantes, les agriculteurs, les consommateurs, les ONG environnementales…
Dès lors, que préconisez-vous ?
Je crois en l’innovation et dans l’évolution de nos méthodes de production, y compris dans la viticulture (bio, biodynamique, agroécologique). Je pense à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) pour développer de nouveaux cépages et une viticulture durable. Avec ces nouveaux cépages plus résistants et des changements de pratiques, on pourra limiter l’utilisation de produits phytosanitaires et donc les dommages collatéraux. Il faut aussi accompagner les viticulteurs dans cette transition.
La pression du grand public est forte sur ce sujet. Faut-il accélérer ?
Il faut le faire le plus rapidement possible. Il y a une culture de la transparence et de l’évaluation qui doit être généralisée. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer. Mais pas pour créer de nouvelles contraintes réglementaires. Ils doivent être un tiers de confiance entre les ONG et les professionnels, car nous devons garantir la traçabilité de notre art de la table.
Le vin, le champagne et les spiritueux représentent le deuxième excédent commercial de la France derrière l’aéronautique. L’ex-ministre de l’Économie que vous êtes doit s’en réjouir…
Oui. Et c’est d’autant plus remarquable que l’aéronautique est autrement plus aidée. La viticulture, l’agroalimentaire, mais aussi le luxe à la française sont essentiels, car derrière ce sont des emplois non délocalisables. Et des tours de main liés à des terroirs. Les vignerons, les agriculteurs, les grands chefs, ce sont des entrepreneurs de la terre et du quotidien. C’est une culture à la française qu’on ne nous prendra pas.
D’où vous vient cette certitude ?
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Si vous gagnez la présidentielle, quelles mesures prendrez-vous pour la viticulture française ?
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