Pour les décorateurs d’intérieurs souvent désignés comme des designers, réaliser la décoration d’un restaurant est un bon moyen de trouver la lumière et de se faire un nom… découvrez sur cet article du quotidien Les Echos le travail de trois d’entres-eux.
Si les chefs de cuisine ont acquis une notoriété au-delà de la sphère culinaire, il en est de même pour les architectes d’intérieur qui dessinent peu à peu les nouveaux contours du restaurant. Ensemble, ils réinvestissent cet espace codifié et imaginent des lieux conceptuels et conviviaux.
Les architectes d’intérieur n’ont jamais été autant plébiscités par les chefs. Ce tandem créatif transpose leurs émotions dans une synergie artistique. Le restaurant, espace de reconnexion à soi et aux autres, se voit investi par de jeunes chefs qui n’hésitent pas à le réinventer avec le soutien de designers prêts à mettre leur expertise au service d’idées novatrices. De l’assise à l’assiette, zoom sur deux adresses parisiennes récemment inaugurées.
Alter ego – Dans le 11e arrondissement, triangle d’or de la bistronomie parisienne, le jeune chef Eloi Spinnler inaugurait en avril dernier sa toute première adresse baptisée Orgueil. Pour l’occasion, pas un mais deux concepts de restauration ont été développés avec, d’un côté, la salle où l’on retrouve tapas et plats à partager et, de l’autre, une table gastronomique façon speakeasy installée au coeur de la cuisine du chef. Le cahier des charges ? Réagencer le lieu de façon à créer deux espaces distincts. Une mission que Delphine Versace et Virginie Friedmann, architectes d’intérieur, ont relevée avec panache. Dans une approche narrative poétique, elles sont parvenues à traduire le péché d’Orgueil non sans humour et finesse en optant pour un jeu de texture et de démesure.
Elles puisent leur inspiration dans la littérature anglaise, en installant un miroir sans tain, référence au conte de Lewis Caroll, pour scinder le restaurant. À la suite de leurs échanges, le trio imagine un environnement immersif : les murs s’habillent de bois de cèdre pour apporter une atmosphère chaleureuse et, au plafond, deux fresques de l’illustratrice Elsa Blondeaux au bestiaire symboliste invitent les convives à la contemplation tandis que la carte se décline sous la forme d’un jeu de tarot ludique. Pour parfaire cette scénographie, le chef et le studio d’architecture installent de grandes banquettes pour plus de convivialité. La force d’Orgueil réside dans sa capacité à conjuguer accords gastronomiques et décors allégoriques.
Orgueil, 6, rue Popincourt, Paris 11e. – hubrisgroupe.com
Sérendipité, la beauté du hasard
À 25 ans, Mallory Gabsi concrétise son rêve en ouvrant son propre établissement. Le jeune chef belge investi ainsi le quartier des Ternes à Paris et signe une cuisine à son image : ambitieuse et prometteuse. Il a donné carte blanche à Arnaud Behzadi, architecte et décorateur d’intérieur, dans la réalisation de ce projet. Une rencontre tout en fluidité et confiance autour de leur univers respectif. Malgré une génération de différence, le chef et l’architecte ont su trouver des ponts pour créer un espace cohérent où chacun s’exprime dans une parfaite alchimie avec le lexique qui leur est propre. Entre émotion et conception, il n’y a qu’un pas.
Iranien d’origine, Arnaud Behzadi se nourrit des saveurs de son enfance dans l’aménagement de ce restaurant. Avec le safran pour inspiration, il dote ce lieu d’une couleur chaude mordorée. Mallory Gabsi y va aussi de ses influences et parvient à intégrer le turquoise, sa couleur totem, à la décoration par des touches aléatoires heureuses sur les colonnes de bronze obtenues par oxydation. Aucun mur n’est laissé nu, un travail de revêtement a été réalisé de façon à inscrire l’expérience culinaire dans un écrin sur-mesure enveloppant. Les miroirs apportent transparence et profondeur à la salle de réception tandis que les angles arrondis accompagnent le mouvement tout au long du service. L’art de la table n’est pas en reste, le duo opte pour les créations de céramistes comme Léa Soumali qu’ils associent à des couverts Christofle, classiques et intemporels. La cuisine est centrale et ouverte sur la salle, une scénographie mouvante et dynamique qui fait la singularité du lieu.
Mallory Gabsi, 28, rue des Acacias, Paris 17e.
Par C. Merlet