2018 – l’année de tous les succès pour la chef pâtissière Christelle Brua

 Elle a presque tout obtenu en 2018, si vous ne connaissez pas encore Christelle Brua la chef pâtissière du Pré Catalan, plongez-vous dans le long article que vient de lui consacrer le quotidien Le Parisien – 

Paul Bocuse l’appelait affectueusement «la Petite». Cheffe au Pré Catelan, Christelle Brua, célèbre pour son dessert fétiche, la pomme en sucre soufflé, est la première femme sacrée meilleur pâtissier du monde.

A l’entrée de la médina de Marrakech, au Maroc, le somptueux palais Dar El Bacha accueille, ce soir-là, la crème de la gastronomie internationale. L’air est doux. Les centaines d’invités en smoking et robes de soirée, conviés le 9 octobre dernier dans la ville ocre par les Grandes Tables du monde, sont venus assister à la remise des prix d’excellence 2018 de l’association des meilleurs restaurants de la planète.

Parmi les lauréats de ce Festival de Cannes de la gastronomie, Christelle Brua, frêle jeune femme blonde, à la voix douce teintée d’un léger accent lorrain, est sacrée meilleur pâtissier du monde. La cheffe pâtissière du Pré Catelan, prestigieuse adresse parisienne, n’est pas une inconnue. Sa recette fétiche, la pomme verte en sucre soufflé, régale depuis seize ans les clients du célèbre restaurant trois étoiles du bois de Boulogne. Il n’empêche : elle est la première femme à recevoir une telle distinction.

La pomme verte en sucre soufflé à la crème glacée au caramel, au cidre et au sucre pétillant, dessert fétiche de Christelle Brua./LP/Philippe Lavieille.

Ce titre, attribué dans le sillage de la vague #MeToo, n’est sans doute pas un hasard. Les Grandes Tables du monde sont présidées par David Sinapian, mari à la ville d’Anne-Sophie Pic, l’une des rares ambassadrices avec Hélène Darroze de la cuisine française. Cette récompense « fait du bien, confirme Yves Camdeborde, patron du Comptoir à Paris, ancien du Ritz et du Crillon. Elle va encourager les filles à se dire qu’elles peuvent réussir dans ce métier soi-disant macho ».

La palme décernée à Marrakech consacre surtout une surdouée de la pâtisserie. Tarte fondante au chocolat, poire Belle-Hélène caramélisée, tiramisu, baba au rhum, paris-brest aux figues… à 41 ans, elle revisite en virtuose tous les classiques. Dans ses créations, « elle a réussi le plus difficile, souligne Yves Camdeborde, faire simple et bon en y ajoutant une touche féminine de finesse et d’esthétisme ».

Des forêts vosgiennes de son enfance aux allées du bois de Boulogne où le Pré Catelan attire le Tout-Paris depuis plus d’un siècle, quel chemin parcouru par l’ancienne apprentie de Sarrebourg ! « Je suis une femme du terroir », assume Christelle, dont les parents tenaient l’Auberge du Grand Soldat dans le petit village mosellan d’Abreschviller. « Le week-end, pendant que mes amies s’amusaient, je les aidais à l’auberge. »

Une enfance le nez dans les plats typiques

La petite Christelle découvre très jeune l’univers de la restauration. Le travail acharné qu’il suppose. « Sans aucun employé, mes parents faisaient 80 couverts midi et soir et, plus incroyable encore, les plats étaient servis à volonté. » Au menu, la choucroute, le waedele (jambonneau de porc) ou le baeckeoffe (plat à base de viandes et de légumes marinés) sont de rigueur. Et le dimanche, les chasseurs ont droit à la traditionnelle soupe aux poix.

L’enfance de Christelle baigne aussi dans les odeurs de beerawecka (pains aux fruits), de mannele (brioches de Saint-Nicolas) et de bredele (gâteaux de Noël à la cannelle). Mais, après le bac, elle se rêve styliste plutôt que pâtissière, puis renonce en découvrant les frais de scolarité des écoles de formation aux métiers d’art où elle est admise. « C’était entre 150 000 et 250 000 francs (de 23 000 à 38 000 euros) par an, se souvient-elle. Je ne voulais pas imposer ça à mes parents. J’ai bifurqué vers un CAP de cuisine. A l’époque, l’apprentissage était mal vu, c’était la voie de garage. »

Désignée meilleure apprentie de Moselle, elle décroche son CAP, son BEP et un premier poste de commis à l’Arnsbourg, à Baerenthal (Moselle), à 50 km de Strasbourg. Dans ce coin perdu des Vosges du nord, la famille Klein a transformé une ancienne cantine de bûcherons en un établissement deux étoiles réputé bien au-delà des frontières de Lorraine. « En cuisine, raconte Christelle, je me suis retrouvée la seule fille parmi quinze garçons. » Le chef, Jean-Georges Klein, qui dirige aujourd’hui la Villa Lalique, deux macarons au Michelin, l’affecte au garde-manger où se préparent les entrées.

«Elle était la plus douée »

En dehors de son service, la petite cuisinière traîne dans les jupes de Lily, la mère du chef, l’observe pendant des heures confectionner ses tartes au chocolat chaud et son ananas rôti à la noix de coco. Lorsque Lily prend sa retraite, « Christelle a pris la suite parce qu’elle était la plus douée », résume Jean-Georges Klein. Pâtes de fruit au yaourt de rose, gelées en raviole au coulis de caramel… la jeune fille fait ses gammes.

« C’était une adolescente turbulente, sourit son premier mentor, mais elle avait une vraie passion pour la cuisine. Dans sa chambre au-dessus du restaurant, elle avait des posters de Paul Bocuse et de Frédéric Anton. » Le second, Lorrain comme Christelle, officie à Paris aux fourneaux du Pré Catelan, baptisée ainsi en l’honneur du capitaine des chasses de Louis XIV. Une institution !

Brua

Une place au Pré Catelan au culot

« J’admirais beaucoup Monsieur Paul, glisse Christelle. J’ai eu des moments privilégiés dans son restaurant de Collonges-au-Mont-d’Or (Rhône). Il s’attablait avec moi dans la cuisine et m’appelait la Petite. » Mais c’est bien le parcours de Frédéric Anton, meilleur ouvrier de France, disciple de Joël Robuchon, qui la fascine. « Elle avait lu pas mal de choses sur lui, témoigne Jean-Georges Klein. Pendant des mois, elle l’a tanné. Elle lui écrivait des lettres. Elle voulait à tout prix le rejoindre. Quand elle est partie, j’étais triste mais ça ne m’a pas surpris. »

Lorsqu’en 2002, l’Arnsbourg décroche sa troisième étoile, la jeune femme démissionne sur-le-champ. « J’avais le sentiment du devoir accompli », explique-t-elle. Elle quitte la Lorraine et, au culot, se présente à la porte de l’imposant pavillon du Pré Catelan. A force d’insister, elle est reçue par Frédéric Anton. « Je suis acharnée, très têtue », reconnaît-elle. En guise de test, le chef lui commande un dessert, elle lui prépare des poires confites aux croustillants de chocolat. « Elle a réalisé quelque chose de très délicat, de très féminin qui m’a tout de suite conquis », se souvient Frédéric Anton. Il l’embauche comme cheffe pâtissière. A 26 ans, Christelle Brua réalise son rêve.

Le grand public la découvre dans «MasterChef»

Elle se plonge dans le travail. « Au début, j’habitais même sur place dans l’ancien appartement de Mme Lenôtre. » Ironie du sort, « la première chose que j’ai faite à Paris, raconte-t-elle, c’est d’aller m’acheter un parfum, la pomme de Nina Ricci ». Six mois plus tard, elle invente la recette qui va la faire connaître : sa fameuse pomme en sucre soufflé à la crème glacée au caramel, au cidre et au sucre pétillant, inspirée des pommes d’amour de la fête foraine du bois de Boulogne. Le succès est fulgurant. « A ce niveau, il y a peu de femmes et là, elle est immédiatement sortie du lot », souligne Christian Etchebest (La Cantine du troquet), l’un des papes de la bistronomie parisienne.$Avec le chef, c’est un véritable coup de foudre professionnel. « C’est moi le patron, mais je suis aussi là pour l’accompagner et la protéger. Notre collaboration est parfaite », assure Frédéric Anton. « C’est une histoire plus forte qu’avec Jean-Georges Klein, confirme-t-elle. Frédéric est à la fois mon meilleur ami, mon complice et mon confident. Avec lui, j’ai toujours l’impression de progresser. »

Ensemble, ils décrochent en 2007 leur troisième étoile. Puis Christelle enchaîne les titres de meilleure pâtissière de France en 2008, 2009 et 2014. Ses démonstrations au Salon du chocolat font un carton, elle multiplie les apparitions à la télévision où le grand public découvre ses mèches blondes dans « MasterChef » sur TF1, « Qui sera le prochain grand pâtissier ? » sur France 2 ou encore la sixième saison de « Top Chef » sur M6.

La médiatisation détourne à peine de ses fourneaux cette infatigable bûcheuse. « Lorsque je suis tombée enceinte, tout le monde m’a dit, tu dois arrêter ce métier. » Elle refuse de choisir entre sa passion et son fils Lucien. « Je suis restée en cuisine jusqu’au bout. Un jour, j’ai quitté le Pré Catelan dans l’après-midi et le soir même j’accouchais. » Vingt jours plus tard, elle est de retour. « Je n’avais pas de nounou, j’ai débarqué au restaurant avec le cosy, les couches, et j’ai recommencé à travailler avec mon fils en bandoulière. »

«Comme le capitaine d’une équipe du rugby»

Après son divorce, la cheffe ralentit le rythme pour profiter de son garçon. « Une semaine sur deux, je ne viens pas le soir. » A la tête d’une brigade de neuf pâtissiers, dont sept femmes, elle aménage alors les horaires afin qu’ils aient, eux aussi, plus de temps à eux. « Dans le monde dur, exigeant de la gastronomie, Christelle apporte de la douceur, un management plus humain, elle est apaisée et accessible. Son succès ne lui est pas monté à la tête. »

Seule contrainte : dans les sous-sols du Pré Catelan, les commis et les apprentis de la pâtisserie doivent endurer les airs favoris de la patronne, fan de Michel Berger, France Galle, Bashung, Julien Clerc… Sa chanson préférée ? « Le Petit Pain au chocolat », évidemment, de Joe Dassin qu’elle écoute en boucle. Autre particularité, de temps en temps, elle invite en cuisine ses amis rugbymen. « J’ai accueilli, Titi Dusautoir, Yannick Nyanga ou Dimitri Szarzewski… »

Dans la profession, les cuistots dont elle se sent la plus proche sont tous fondus de ballon ovale : les Béarnais Christian Etchebest et Yves Camdeborde, ou le Biterrois Pierre Augé, ancien vainqueur de « Top Chef » et patron de la Maison de Petit Pierre à Béziers. « Au Pré Catelan, Christelle est comme le capitaine d’une équipe du rugby, affirme Etchebest. Elle sait que pour imposer ses idées, elle doit faire preuve de courage, de ténacité, de solidarité. Des valeurs qu’elle met aussi au service des autres. »

En effet, si la cheffe pâtissière refuse de prêter son nom et son visage au combat féministe – « j’ai toujours travaillé dans un milieu d’hommes, dit-elle, et ça ne m’a jamais gênée » –, elle défend d’autres causes. La maman de Lucien s’est engagée auprès de l’ancien joueur de rugby Sébastien Boueilh, violé dans son enfance, qui a fondé en 2013 l’association « Colosse aux pieds d’argile », pour sensibiliser aux risques pédophiles dans le sportif.

Elle soutient aussi l’association « Zazakely Sambatra » en faveur des enfants de Madagascar créée par Véronique de Bourgies, l’une des 129 victimes des attentats de Paris. Le 13 novembre 2018, jour anniversaire de sa mort, elle a accueilli avec Frédéric Anton le grand dîner donné en son hommage au Pré Catelan.

 

 

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