Pascal Aussignac : entre racines gasconnes et défis londoniens

 

Face à moi, Pascal Aussignac, chef visionnaire et ambassadeur du Sud-Ouest en terre anglaise, exprime avec franchise ses doutes, ses ambitions et sa passion intacte pour la gastronomie. Depuis plus de deux décennies, il incarne à Londres un pan de la culture française, réinterprétant avec audace les saveurs de sa région natale au sein de son restaurant étoilé le Club Gascon. Entre les défis politiques du Brexit, les restrictions sur les produits phares du Sud-Ouest et les enjeux personnels liés à la santé de son associé, il réfléchit à l’avenir de son entreprise. “La cuisine, c’est une histoire d’identité, de transmission, mais aussi d’adaptation. Chaque obstacle est une opportunité de réinventer.” À travers cet échange, il partage les contours d’un métier en pleine transformation, tout en affirmant une vision lucide et passionnée de la gastronomie.

Une vocation ancrée dans les racines du Sud-Ouest

“J’ai grandi à La Rochelle, entouré de commerçants et de restaurateurs.” C’est dans ce décor vibrant de convivialité et de terroir que Pascal Aussignac trouve les premières graines de sa vocation. Fasciné dès l’enfance par les métiers manuels, il rêve un temps de devenir lapidaire, inspiré par l’élégance et la précision du travail sur les pierres précieuses. Mais c’est sa mère, commerçante pragmatique, qui l’oriente vers la cuisine : “Elle m’a dit : au moins, tu auras toujours un travail.” À seulement 10 ans, il découvre l’univers des cuisines professionnelles en travaillant pendant ses vacances dans un restaurant étoilé de La Rochelle. Ce premier contact marque un tournant : “Cette ambiance m’a tout de suite captivé. Je n’ai jamais voulu en sortir.”

Sa passion le mène rapidement vers les grandes maisons parisiennes, où il perfectionne son savoir-faire. “De mes 16 à 27 ans, j’ai fait mes armes dans les cuisines des meilleurs : un, deux, trois étoiles, c’était mon école.” Ces années d’apprentissage rigoureux forgent les bases de son style : une maîtrise technique implacable et un respect profond pour les produits. Mais c’est son attachement au Sud-Ouest, où il puise ses racines culturelles et culinaires, qui façonne véritablement son identité. “Le Sud-Ouest, c’est un équilibre entre terre et mer, entre tradition et créativité.” Ce lien indéfectible guide son aventure londonienne, où il cofonde le Club Gascon en 1998, un lieu qui deviendra l’ambassade de son terroir en terre anglaise.

Créer au rythme des saisons et des inspirations

“Je ne répète jamais mes plats. Chaque saison est une opportunité de créer quelque chose de nouveau.” Pour Pascal Aussignac, la saisonnalité n’est pas seulement une contrainte naturelle, mais une source inépuisable de créativité. Chaque produit de saison, qu’il s’agisse d’un légume, d’un fruit ou d’une viande, ouvre la porte à de nouvelles combinaisons, à des réinterprétations de son héritage culinaire du Sud-Ouest. “Même après 26 ans à Londres, je refuse de revisiter mes recettes passées. Pour moi, une fois qu’un plat est servi, il appartient au passé.” Cette approche, à la fois radicale et stimulante, le pousse à renouveler constamment son offre, entretenant ainsi une dynamique de mouvement perpétuel dans ses cuisines.

Cette quête de nouveauté est étroitement liée à son dialogue avec les producteurs et les ingrédients eux-mêmes. Inspiré par son attachement à la terre et la mer, il jongle avec les saveurs de ces deux univers pour créer des plats uniques. Ses réalisations, comme son foie gras au caviar Sturia ou sa marmite royale, illustrent cette capacité à marier tradition et modernité. “J’adore marier la terre et la mer. Ces deux univers se répondent et se subliment mutuellement.” Pour lui, la cuisine ne se limite pas à une simple répétition de gestes : elle doit être un art vivant, capable de surprendre et de s’adapter aux cycles naturels, mais aussi aux inspirations du moment.

sincérité et transmission : un rôle de passeur

“Je ne cuisine pas pour faire des plats, mais pour raconter une histoire.” Cette phrase de Pascal Aussignac résume l’essence même de sa philosophie culinaire : une quête d’authenticité où chaque assiette est un message. Pour lui, la cuisine du Club Gascon doit non seulement refléter l’identité du Sud-Ouest, mais aussi transmettre ses valeurs fondamentales. “Mon équipe est internationale, aucun d’entre eux ne connaît réellement le Sud-Ouest, alors je suis le garant de ces traditions. Je leur explique les codes d’un cassoulet, la manière de travailler le canard ou le foie gras.” Cette responsabilité de passeur, il l’assume avec humilité et conviction, conscient que son rôle dépasse celui de simple chef : il est le gardien d’un héritage.

Cependant, la transmission ne se limite pas aux recettes ou aux techniques. Pour Pascal Aussignac, elle consiste également à inculquer une certaine vision de la gastronomie : celle d’un métier de patience, de répétition et de gestes précis. “Le métier de cuisinier, c’est un métier de gestes. On ne peut pas tricher. La base doit être solide, sinon tout s’effondre.” À une époque où la rapidité et les tendances éphémères dominent, il plaide pour un retour à l’essentiel : le respect du produit et le temps nécessaire pour bien faire les choses. Cette vision, il la partage non seulement avec son équipe, mais aussi avec ses clients, faisant de chaque plat une opportunité de connecter passé, présent et futur. “Transmettre, c’est aussi donner envie aux autres de continuer l’histoire.”

un avenir incertain, une passion intacte

“Avec le Brexit et les nouvelles réglementations, il devient de plus en plus difficile de défendre les valeurs du Sud-Ouest à l’étranger.” Pour Pascal Aussignac, les défis auxquels il fait face aujourd’hui sont aussi économiques que culturels. La possible interdiction du foie gras au Royaume-Uni, pilier de son identité culinaire, et les restrictions sur l’importation des volailles françaises sont autant d’obstacles qui menacent l’avenir du Club Gascon. “Ces décisions politiques ne sont pas seulement un coup porté à mon entreprise, mais à tout un pan de la gastronomie française.” Ces incertitudes sont exacerbées par les conséquences post-Brexit, qui affectent autant la logistique que la perception des produits français. À cela s’ajoute un défi personnel : son associé de longue date, gravement malade, l’oblige à envisager la suite de cette aventure qu’ils ont bâtie ensemble. “Dois-je continuer seul, vendre ou clore ce chapitre ? Ce sont des décisions difficiles, mais nécessaires.”

Pour autant, cette période d’interrogations ne diminue en rien sa passion pour la cuisine. “Cuisiner, c’est créer, partager et se réinventer sans cesse.” Malgré les contraintes, Pascal Aussignac reste attaché à l’idée d’une gastronomie sincère, ancrée dans ses valeurs mais capable de s’adapter. Il se dit prêt à tourner la page si cela devient inévitable, mais refuse de compromettre l’essence même de son art. “Je préfère clore une belle histoire plutôt que de la dénaturer.” Dans ces moments d’incertitude, c’est sa créativité qui lui permet de continuer, une force motrice qui l’a toujours guidé. “La passion reste intacte, même dans les moments les plus difficiles. Et tant que cette passion est là, il y a encore des histoires à écrire.”

Alors que Pascal Aussignac envisage l’avenir avec pragmatisme, une certitude demeure : sa passion pour la cuisine reste le fil conducteur de son parcours. “Cuisiner, c’est transmettre, créer, et surtout rester fidèle à soi-même.” Face aux incertitudes, il puise dans ses racines du Sud-Ouest et sa créativité pour continuer à défendre une gastronomie authentique et audacieuse, même dans un contexte changeant. “Je préfère clore une belle histoire que de la voir perdre son âme.” Mais ce qui ressort avant tout, c’est une volonté farouche de ne jamais renoncer à ce qui fait l’essence même de son métier : nourrir, dans tous les sens du terme, ceux qui ont le privilège de goûter à son univers culinaire. À travers ses assiettes et ses mots, Pascal Aussignac laisse transparaître une leçon essentielle : la gastronomie, bien plus qu’un art, est une aventure humaine et une célébration de la vie.

Propos recueillis par Guillaume Erblang / Food&Sens dans le cadre du festival Gastromasa

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