Qu’est-ce qui vous a conduit à la cuisine et comment votre passion pour le voyage a-t-elle influencé votre carrière ?
Tout a commencé à l’école hôtelière. Mon premier professeur de cuisine m’a demandé un jour pourquoi je voulais faire ce métier, et je lui ai répondu que c’était pour voyager. La cuisine, pour moi, c’est d’abord un moyen de découvrir le monde. À travers les techniques, les produits, les saveurs, on plonge dans des cultures, des traditions et des histoires différentes. J’ai suivi un parcours classique en France d’abord, où j’ai été formé par des chefs exigeants, attachés aux bases et aux produits du terroir. Mais en m’installant en Bourgogne, j’ai ressenti ce besoin de m’ouvrir. Alors, même si je ne partais pas pour une carrière de chef itinérant, j’ai cherché à voyager autrement : par les semaines gastronomiques, les festivals et les collaborations internationales. Chaque pays visité, chaque expérience vécue à l’étranger a enrichi ma vision de la cuisine. J’y ai puisé des idées, des goûts nouveaux m’aidant à me forge ma propre sensibilité. Mon parcours est un équilibre entre cette curiosité du monde et mon attachement à la Bourgogne, où j’ai choisi de m’ancrer.
Vous avez parcouru de nombreux pays, particulièrement en Asie. Comment ces découvertes ont-elles transformé votre approche de la cuisine ?
En Asie, j’ai découvert une richesse de saveurs, de textures et de façons de cuisiner qui m’ont transformé. La street food asiatique m’a fasciné, avec ses goûts bruts, directs, et souvent puissants. Cette cuisine est ancrée dans la vie quotidienne des gens, elle se vit dans la rue, à la fois spontanée et pleine de caractère. Je me suis rendu compte que cette intensité de goût, cette simplicité apparente qui cache une grande maîtrise, me manquait dans ma propre cuisine. Après la période du Covid, j’ai ressenti un besoin presque viscéral de retrouver cette intensité dans mes propres plats. C’était le moment de prise de conscience de mon identité culinaire personnelle ! Avant, je ramenais des produits de mes voyage mais uniquement pour partager avec mes équipes. Je ne les intégrais pas à mes menus car je me disais que mon rôle était de rester dans une tradition française, celle de la Bourgogne. Mais à ce moment-là, à une période ou les voyages étaient devenus compliqués, j’ai voulu briser cette barrière et inviter mes clients dans ce voyage à travers les saveurs du monde que j’ai pu découvrir au cours de mes voyages !
Vous parlez d’influences asiatiques dans votre cuisine. Pouvez-vous donner des exemples de plats où vous fusionnez ces inspirations avec les produits français ?
Absolument. J’aime partir de produits bien français et les emmener ailleurs, les enrichir d’arômes et de saveurs venues d’ailleurs, sans les dénaturer. Par exemple, j’ai créé une inspirée du « pho » vietnamien mais avec une escalope de foie gras. On connaît bien en France l’accord classique du foie gras et du sucré-salé, mais ici, je le travaille avec des épices comme la cannelle, la badiane, la coriandre et la menthe fraîche, qui rappellent ce fameux bouillon vietnamien. Ça reste du foie gras, mais il est revisité avec des saveurs exotiques qui racontent une histoire différente. Un autre exemple serait un dashi revisité pour accompagner une truite bourguignonne (Plat ci-dessous). J’utilise des pommes Granny Smith pour apporter de l’acidité et de la fraîcheur, tout en respectant la logique du dashi japonais. C’est un peu comme si chaque plat devenait une passerelle entre la France et les pays que j’ai visités. Mais je tiens à éviter la « fusion confusion » : chaque plat doit avoir une cohérence, un fil rouge qui lie les ingrédients entre eux, pour que l’expérience soit claire pour le convive.
Cette « fusion confusion », comme vous dites, peut parfois perdre le client et le sens du plat. Comment arrivez-vous à trouver cet équilibre ?
C’est là que se situe toute la complexité de cette approche. En réalité, l’équilibre repose sur une réflexion en profondeur sur chaque ingrédient et chaque association. Il ne s’agit pas de mélanger pour surprendre ou impressionner. Il faut que chaque élément ait une raison d’être, qu’il raconte quelque chose de cohérent avec le reste. Par exemple, quand je travaille une Saint-Jacques, je m’interroge sur la meilleure manière de la mettre en valeur, tout en y intégrant une touche personnelle venue de mes voyages. La Saint-Jacques est un produit noble, délicat, et j’y apporte une touche d’acidité inspirée de la cuisine asiatique, mais sans trahir sa nature. L’idée n’est pas de l’écraser sous des saveurs étrangères, mais de la sublimer. Pour moi, cet équilibre réside dans l’écoute des produits et dans le respect de son authenticité et ce même si je les associe à des ingrédients exotiques.
On ressent également dans votre cuisine une influence de la street food asiatique, quelque chose de plus brut, plus direct. Que vous inspire cette culture culinaire ?
La street food est pour moi une source d’inspiration inépuisable, car elle est immédiate, accessible, et surtout ancrée dans la culture quotidienne des gens. En Asie, manger dans la rue, c’est presque un rituel. La simplicité et l’authenticité de cette cuisine sont incroyables. Par exemple, le banh mi vietnamien, c’est en quelque sorte un pain français, mais garni d’ingrédients locaux qui en font un plat unique, à la fois simple et explosif en goût. Ce type de cuisine me fascine, car il n’y a pas de fioritures, pas de luxe, mais une véritable intensité gustative. J’essaie de retrouver cette intensité dans mes plats en Bourgogne, tout en ajoutant une touche d’élégance propre à la cuisine gastronomique française. Je veux offrir à mes clients une expérience où ils sont transportés, où ils peuvent retrouver cette simplicité brute, mais dans un cadre raffiné.
Vous avez une approche très ouverte et internationale, pourtant vous travaillez en France. Comment conciliez-vous cette vision du monde avec les attentes d’une cuisine française ?
C’est une question de responsabilité envers ma culture et mon environnement, mais aussi d’honnêteté envers moi-même. La France a une tradition culinaire extraordinaire, et en Bourgogne, je suis entouré de produits d’une qualité exceptionnelle. Je m’efforce de respecter cet ancrage local en utilisant les produits de saison, les ingrédients du terroir, mais en même temps, j’ai ce besoin d’ouverture. Mon territoire, ce n’est pas seulement la Bourgogne, c’est le monde. Je pense qu’il est possible d’avoir un produit local, mais de le faire voyager. Par exemple, avec la truite bourguignonne et mon dashi revisité, je propose quelque chose qui parle de ma région tout en rappelant mes découvertes ailleurs. Ce que je veux, c’est que les gens qui viennent ici en Bourgogne aient l’impression de voyager, d’ouvrir une fenêtre sur le monde, tout en restant ancrés dans la culture française.
Dans un contexte de globalisation, comment voyez-vous l’évolution de la gastronomie en termes de respect des cultures et de durabilité ?
Pour moi, il est essentiel d’avoir un regard humble sur le monde. En voyageant, j’ai réalisé que la France, avec sa richesse culinaire, avait aussi beaucoup à apprendre des autres cultures. Les chefs français, pendant des années, ont eu tendance à se concentrer sur leur propre terroir, mais je crois qu’il est nécessaire de se nourrir de ce qui se fait ailleurs. Quant à la durabilité, c’est un défi pour moi. Je voyage beaucoup, donc j’ai conscience de mon empreinte carbone. Mais en même temps, ces déplacements m’enrichissent, ils me permettent de mieux comprendre le monde et de respecter les cultures locales. La gastronomie française est capable d’intégrer des influences étrangères sans se dénaturer, et c’est ce que je m’efforce de faire, en apportant un maximum de respect dans ma démarche.
Enfin, quel est le moment le plus marquant de votre parcours en cuisine ?
Il y en a eu plusieurs, mais certains moments sont gravés en moi. Les festivals, par exemple, sont des occasions incroyables de partager et d’apprendre avec d’autres chefs venus du monde entier. Je me souviens particulièrement des 50 ans du Sofitel à Guangzhou en 2014. J’étais aux côtés de Michel Delburgo et d’autres grands chefs. Pendant une semaine, nous avons cuisiné ensemble, partagé nos techniques, nos histoires, nos valeurs. Ce n’était pas juste une question de cuisine, mais de communion autour de notre passion. Ces moments m’ont enrichi d’une manière inestimable, et ils me rappellent pourquoi j’aime ce métier. Ce sont ces échanges humains et ces partages qui me nourrissent et qui me poussent à me réinventer chaque jour pour transmettre ce même esprit à mes équipes et à mes clients.
À l’image de sa cuisine, Nicolas Isnard incarne une gastronomie en mouvement, où la tradition rencontre l’inspiration des saveurs du monde et à l’Auberge de la Charme, il ne se contente pas de proposer des plats ; il invite ses convives à un voyage culinaire, sincère et authentique, qui reflète son parcours et sa personnalité. Entre racines bourguignonnes et influences asiatiques, Nicolas Isnard trace une voie nouvelle pour une cuisine française, ouverte sur le monde et bien ancrée dans le respect des produits et des saveurs. Plus qu’une fusion, c’est une conversation culinaire qu’il engage, où chaque plat devient le récit d’un voyage et d’une rencontre.
Propos receuillis par Guillaume Erblang / FoodandSens
Voyage, par Nicolas Isnard – en librairie le 6 novembre
Voyage retraces l’odyssée culinaire des créations du chef étoilé Nicolas Isnard globe-trotter et citoyen du monde ! Ce livre captivant entraîne le lecteur dans un parcours unique, où chaque plat se transforme en une invitation à partir en voyage ! Au fil des pages, des recettes inspirées et des récits de rencontres révèlent la quête d’un chef pour qui la cuisine est un langage universel ! À travers des souvenirs intimes et des créations audacieuses, Voyage ouvre les portes d’un monde de goût et de sensibilité, où chaque assiette raconte non pas seulement une histoire et mais une moment de vie !