Le pâtissier Pierre Hermé a toujours eu l’habitude de travailler le dimanche. Il en profite aussi pour visiter d’autres commerçants et s’inspirer d’expositions pour ses créations.
Quand on est fils et petit-fils de boulangers et pâtissier soi-même, on ouvre de grands yeux à l’évocation d’une grasse matinée dominicale. Pierre Hermé est de ceux-là, trop curieux pour prendre du repos, trop passionné pour ne rien faire. Qu’importe si les boulangeries sont traditionnellement fermées le dimanche en Alsace, où il est né (à Colmar) : il fallait se lever le matin pour faire la tournée de livraisons aux clients qui avaient commandé leurs gâteaux pour le déjeuner. « C’était un moyen de récupérer du pourboire, se souvient-il. C’était mon premier argent de poche, gagné par moi-même. Travailler le dimanche me paraît donc normal. » Ainsi va la vie de ces métiers de bouche : travailler quand les autres font relâche ; flatter, au petit matin, les estomacs des noctambules ou des sportifs du dimanche avec des viennoiseries bien chaudes.
Il n’est pas étonnant que le futur roi du macaron ait ainsi eu la vocation dès 9 ans. À la faveur d’une petite annonce de Gaston Lenôtre, parue dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Pierre Hermé postule comme apprenti à 14 ans, débarque à gare de l’Est et s’installe dans une petite chambre de bonne. Il ne lâche plus son obsession : apprendre. Boulimique de savoir, il prend de l’avance en étudiant le week-end les livres sur l’histoire de la pâtisserie, les produits et les matières premières incontournables de son métier. « J’étais très demandeur et proactif, se rappelle-t-il. Le week-end, j’en profitais – et j’en profite toujours – pour aller voir des nouveaux commerçants que je ne connaissais pas. »
Au marché bio
Est-ce ainsi qu’on garde toujours une longueur d’avance sur les autres? Et qu’on finit par être nommé, à 55 ans, meilleur pâtissier du monde au classement « World’s 50 Best Restaurants » 2016, à New York? Pierre Hermé a en tout cas poussé la pâtisserie à faire un saut dans la modernité. À créer des gâteaux plus élégants, moins sucrés et moins chargés. Même s’il vouait un culte à son « père spirituel » Gaston Lenôtre, le jeune apprenti exerçait déjà son sens esthétique critique sur les desserts traditionnels : « Longtemps, on a présenté les pâtisseries sur des dentelles en papier doré, un truc dont j’ai toujours eu horreur. On les posait sur des comptoirs à plusieurs étages, où on ne les voyait pas assez. Je trouvais qu’il fallait les disposer à plat, sur une seule surface, pour mieux les mettre en valeur. » La plupart des boulangeries aujourd’hui ont adopté le principe, les plus luxueuses d’entre elles ressemblant parfois à des bijouteries sucrées.
Ce sens précoce de la mise en scène s’est mué en goût pour l’art contemporain. Le père du cultissime Ispahan, qui marie rose, litchi et framboise, apprécie désormais des dimanches plus paisibles. Chez lui à Paris, c’est lui le roi des fourneaux, qui prépare toujours le déjeuner après avoir dévalisé le marché bio du boulevard Raspail. S’il veut papoter, il donne rendez-vous à ses amis pour un brunch de haut vol à l’extérieur. Mais toujours, l’après-midi, il aime courir les expositions, qui font germer en lui des idées de scénographies gourmandes. « Jardins » en 2017 au Grand Palais lui a donné l’idée de disposer des gâteaux au milieu d’un parterre de carrés de « verdure », comme dans l’œuvre Soil Library, du plasticien japonais Koîchi Kurita.
Virées en Corse
Son amour des matières premières explique sans doute son penchant pour la Corse. Marié à Valérie, adjointe au maire d’Aléria, il s’accorde désormais de vrais dimanches de « calme » sur l’île de Beauté, au moins une fois par mois. Le coup de cœur pour sa femme, en 2013, fut suivi de près d’un coup de cœur pour le terroir : « La Corse n’est pas une terre de gastronomie, c’est une terre de beaux produits », explique-t-il. Entre ses fourneaux et quelques balades dans la vallée de la Restonica, vers Corte, il découvre l’immortelle, le cédrat, les clémentines, la nepita, l’herba-barona (thym sauvage) ou le miel du maquis… « Je m’apprête à sortir un nouveau macaron baptisé Kalliste, le surnom antique de la Corse, annonce-t-il. Il sera au miel du maquis et aux agrumes, un mélange mandarine-pamplemousse-citron. »
Le chef est même devenu un fervent promoteur des produits insulaires, offrant sa collaboration et son carnet d’adresses au très joli festival annuel dirigé par Valérie, Art’è Gustu, qui regroupe la quintessence des producteurs de l’île, de la charcuterie au brocciu en passant par les agrumes ou l’huile d’olive. L’année dernière, des amis du métier (les pâtissiers Philippe Conticini et Christophe Adam, le cuisinier étoilé Frédéric Anton) avaient fait le déplacement. La prochaine édition (27 et 28 avril) mettra à l’honneur l’agneau et la noisette : Cédric Grolet, le meilleur pâtissier du monde 2018, et le chef Thierry Marx ont à leur tour répondu à son invitation. Désormais, les dimanches de Pierre Hermé fleurent bon les parfums du maquis corse.