Philippe Etchebest – la raison sans déraison – Un dur au coeur tendre

 Libération nous a offert cette semaine un beau portrait du chef Philippe Etchebest … à savourer sans modération.

EXTRAIT –

Le cuisinier-télé de «Cauchemar en cuisine» et «Top Chef» est un compétiteur énergique à l’image classique de dur au cœur tendre.

De temps à autre, les paluches de Philippe Etchebest frappent le bois blond, histoire de marteler son propos. Bien à plat, bam et rebam, elles claquent le beignet à la table d’hôtes de 12 couverts que le Michelin a doté d’une étoile. Ce mercredi soir, sur M6, le gaillard de 53 ans affronte de jeunes prétendants à Top Chef, le radio-crochet culinaire. Ce compétiteur pathologique se régale de ces mises au défi qui l’ont déjà vu chuter de son piédestal. Il dit : «Je suis con de faire ça, mais qu’est-ce que c’est bon !» Il rappelle qu’il n’a que quarante-cinq minutes pour livrer avant la dégustation à l’aveugle quand ses rivaux bénéficient de deux fois plus de temps. Il se rengorge de «mettre les mains dedans» et se flatte de se rapprocher ainsi des débutants. Lui aussi «continue à aller au casse-pipe». En sourdine, on sent frémir comme une once de mépris pour les autres membres du jury qui évitent de risquer leur statut dans ces bagarres de cours d’école.

Crâne ras et barbe fleurie.On reconnaît Philippe Etchebest comme on saluait Sébastien Chabal. Le cuisinier-télé affiche des emblèmes aussi vigoureux que ceux de l’homme des bois d’Ovalie. Le crâne ras est celui d’un bagnard échappé à la routine des assignations univoques, d’un cuistot qui est aussi animateur d’émissions et se lance dans le développement personnel numérique. La barbe fleurie est celle d’un Charlemagne spécialiste de l’éducation dirigée et de la reprise en main. On est loin de la coupe bien dégagée sur les oreilles et des petites lunettes d’étudiant que portait, au tout début du siècle, le vainqueur du concours de meilleur ouvrier de France (MOF). L’accent vient du Sud-Ouest et cela vaut validation du bien manger et du bon vivre. Le verbe est vif, le vocabulaire vorace, la franchise de mise chez celui qui vient à la rescousse filmée de restaurateurs et d’hôteliers dans la débine. Dans Cauchemar en cuisine, il rudoie, puis réconforte, bouscule, puis cajole, sadise, puis câline. Il est cette figure récurrente du bestiaire humain : un dur au cœur tendre, un père sévère doublé d’une mère nourricière, un sergent-chef qui cache une assistante sociale. Dans le zoo médiatique, il est le cousin pas si éloigné de Pascal le grand frère et de Super Nanny. Tête bosselée et poil gris ébouriffé, son apparence sursignifie force mentale et prise en charge. Lui insiste pour mettre en exergue son sens de la transmission et son suivi des itinéraires des apprentis passés sous sa coupe.

Energie infinie.Dans les années 80, Tapie transférait les valeurs de l’entreprise au sport, et réciproquement. Etchebest fait de même entre cuisine et sport. Il est devenu marmiton par atavisme, plus que par vocation. Gamin, il était de corvée de pluche et donnait la main en salle. Ardennaise, la mère s’occupait des clients. Basque, le père était aux fourneaux. Retraité, ce dernier fait «toujours des extras», admire le fils. A la maison, la télé n’était jamais allumée. Désormais, Etchebest ne la regarde toujours pas, il y passe. Cet hyperactif ne tient pas en place. Il a besoin de l’adrénaline de l’affrontement. Le rugby est sa matrice. Jeune adulte, il joue à Bègles. On l’aurait bien vu troisième ligne. Il est trois-quarts aile, rapide et esquiveur du haut de son 1, 80 m et de ses 80 kilos restés sous contrôle car à sa brûlerie d’énergie. Ensuite, tandis qu’il se forme dans les grandes maisons de bouche, il se met à la boxe. Certains soirs, le mi-lourd monte sur le ring avant de renfiler son tablier pour la fin du service. Il admire le croqueur d’oreilles Mike Tyson, «sa puissance, sa rapidité, la façon dont il terrorisait son monde». Aujourd’hui, Etchebest continue à mettre les gants et à affronter les policiers du Raid ou de la BAC. Dernièrement,«comme il faut bien choisir une cause quand on est connu», il s’est mis au caritatif auprès des Pompiers solidaires qu’il accompagne au Népal ou au Togo. Le rock lui importe aussi. Et évidemment, c’est sur une batterie qu’il tape pendant que son groupe reprend des standards, d’AC/DC à Nirvana, de Lenny Kravitz à Michael Jackson. Le week-end, en Dordogne, avec sa femme qui travaille à ses côtés et leur jeune fils adopté au Mexique, il coupe du bois, tond les pelouses, conduit son tracteur, monte à cheval et soigne les bêtes.

Moto et merguez.On aurait pu parier qu’il se déplaçait à moto. Quand il arrive à Etchebest de débarquer sur un rond-point, les gilets jaunes se jettent à son cou et l’enrôleraient volontiers sans attendre. Il leur fait valoir qu’«on peut tout dire et tout revendiquer» mais qu’il n’«accepte pas la violence», ni «les intégristes» de quelque cause que ce soit. Eux lui donnent du «chef» en lui tapant sur le ventre et en l’invitant à valider le grillé des merguez sur brasero. Comme beaucoup de ses confrères toqués, Etchebest garde une aura populaire. Malgré sa visibilité, le fricasseur continue à faire partie de la confrérie des lève-tôt et de la guilde des travailleurs manuels. Portant en collerette le bleu-blanc-rouge du MOF, il affirme qu’il est «bien en France». Content d’y payer ses impôts, cet admirateur de Gabin, Ventura, Belmondo et aussi Dupontel comprend mal pourquoi tant de produits sont importés et pour quelle raison l’industrie périclite. Il tient au savoir-faire des artisans locaux et vante ses fournisseurs, tel le coutelier Perceval.

Entente commerciale cordiale. Fier de sa ville et de sa métamorphose, il salue l’action d’Alain Juppé, en partance pour le Conseil constitutionnel. Nichée sous les plafonds mordorés du Grand Théâtre datant de 1780, sa brasserie fait face à l’Intercontinental où l’Ecossais Gordon Ramsay y officie. La métaphore de l’«Entente cordiale» peut filer hardiment. Ramsay a inauguré la version originale de Cauchemar en cuisine francisée pour Etchebest. L’un a le cheveu en épis hérissés, l’autre a l’obus suiffé comme boule de billard. Et cette proximité rivale est vendue comme la complicité retrouvée, vineuse et antijacobine, entre Bordeaux et le Royaume-Uni. Surtout, la place de la Comédie reblanchie est un pôle d’attraction pour belles bourgeoises et passants distingués, aimantés par la battle des deux briscards assez mastards.

Mangez-moi. 

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