Retrouvez l’article du quotidien Régional La Dépêche.
Demain, Gilles Goujon, cuisinier en Corbières figurant parmi les dix meilleurs restaurants du monde, recevra des mains de Laurent Fabius le grade de chevalier de la légion d’honneur. C’est une nouvelle étape dans la course à la reconnaissance de ce meilleur ouvrier de France déjà trois étoiles au guide Michelin.
Après bien des virages sur une route étroite fouettée par des vagues de vignes, c’est l’arrivée à Fontjoncouse. Le village audois a accédé à la célébrité internationale des gastronomes grâce à son restaurant, «Le vieux Puits», dont l’emblème est un poisson dont il ne reste que la tête et les arêtes. Il y a de l’humour là-dedans. Pas étonnant quand on s’appelle Goujon, prénom Gilles.
En accédant au grade de chevalier de la légion d’honneur, qui lui sera remis le 26 septembre à Toulouse par Laurent Fabius, le cuisinier aux trois étoiles Michelin depuis 2010 a eu une pensée pour son père, qu’il a perdu lorsqu’il avait dix ans. «Il était militaire, je pense qu’il en aurait été fier, dit le chef âgé aujourd’hui de 55 ans dans ses cuisines labyrinthiques, après le coup de feu du déjeuner. mais ma légion d’honneur, c’est de donner du bonheur aux gens».
Le bonheur passe par une cuisine de haut vol inspirée par sa région d’adoption. Né à Bourges, apprenti à Béziers à l’hôtel de la Compagnie du Midi où il obtient son premier titre, celui de meilleur apprenti de France, la formation de celui qui rêve de se faire appeler «Chef !» par toute une brigade passera ensuite par le Moulin de Mougins et «Le petit Nice» à Marseille avant de reprendre ce «Vieux Puits» vide en 1992, avec son épouse Marie-Christine. La voici qui passe, cachée derrière une énorme brassée de roses, quarante-neuf blanches et une rouge, une surprise pour l’anniversaire d’une cliente.
«Ma cuisine envoie !»
Un repas au «Vieux Puits», premier employeur du village avec 48 employés, dont 20 en cuisine, c’est un voyage plein sud, depuis la montagne audoise et ses produits fermiers, volailles, œufs et chevreaux, à la Méditerranée, ses rougets et ses anchois, en passant par le haricot de Castelnaudary ou l’huître de Thau, qu’il propose en entrée de magicien, sous une gelée de mer et fumée au bois de hêtre : pour respirer le fumet, cassez la perle avec ce maillet posé près de l’assiette !
Rendu célèbre par un œuf «pourri» de truffes, la malice de ce grand buveur de café se glisse en amuse-bouches : la coquille d’un couteau farci se croque et la tomate translucide fond littéralement sous le jus acide. Acide, amer, sucré, salé, le goût est « une récitation de chaque jour» pour l’homme qui affirme «ma cuisine envoie !». Et quand tant de chefs vérifient leur sauce à la petite cuillère, lui y va largement, pour avoir la même sensation que le client.
A Fontjoncouse, la famille a pris racine : les garçons Enzo et Axel y sont nés, et Jany Labbé, la mère de Gilles, y a passé ses dernières années. Une femme de caractère, qui lui avait confié, au retour de son engagement d’apprenti : «Sais-tu que ton père ne voulait pas être militaire ? il rêvait d’être cuisinier.»