Entre les grands chênes centenaires, une vaste pelouse descend vers le Blavet. L’intention du paysagiste de l’époque, dans une inspiration préromantique, est évidente : faire de cette pente herbue, dévalant vers l’ouest, la ria argentée et le coucher de soleil, un spectacle permanent à découvrir du château. En 1968, les propriétaires firent convertir celui-ci en hôtel-restaurant. Ce fut l’un des premiers, peut-être le tout premier si j’ai bien compris, membres de la chaîne des Relais et Châteaux.
Le restaurant et une partie des chambres sont situés dans le château. À côté, le Petit Manoir, imposante bâtisse en granit du XVIIIe siècle, héberge le reste des chambres et les salles de réception.
Au château d’assurer côté charme. Et il n’en manque pas. Au rez de chaussée, trois salons magnifiques accueillent le visiteur. Ils ont toute l’apparence d’être restés dans leur jus, du moins pas très différents de ce qu’ils étaient lorsque la famille de Latour-Maubourg habitait le château. On s’y sent bien. Aucune rénovation trop proprette, trop clinquante n’a effacé la douce patine des ans. Les portraits d’ancêtres — mention spéciale pour la grande figure sombre de Septime de Latour-Maubourg, visiblement portraituré vers les années 1830 avec ses favoris noirs et ses sourcils sérieux, dans le salon Nord — parent les murs. Un piano désaccordé somnole dans le salon Sud. Et nous, on s’endormirait facilement dans ces fauteuils épais et moelleux. On contemplerait toute la journée cette pente gazonneuse bordée de hauts chênes et venant mourir dans un méandre du Blavet, jusqu’à ne plus très bien savoir si l’on a affaire à une peinture, voire un pastel, ou à une scène réelle. Des endroits comme ça, j’en voudrais tous les jours.
On n’est plus vraiment en 2017 et c’est une bonne chose. C’est vrai, j’en ai marre de faire semblant de croire que dans certains cas, ce n’était pas mieux, plus beau, plus tranquille avant. L’entropie, ça existe, tout de même. Au château, c’est comme avant ; l’époque actuelle ne vient jamais vous trompeter dans l’oreille quelque obscénité dont elle a le secret. Les menus donnés aux dames sont sans prix ; la carte des vins est posée sans hésitation à côté de l’homme de la tablée (nous sommes trois, dont un monsieur). Scandalisez-vous si vous voulez, moi j’aime, et j’assume.
La cuisine du chef Olivier Beurné, elle, n’est pas old style ni rétro pour un sou. Pas hypermoderne non plus. Elle est intemporelle, fine et sans pesanteur, comme diaphane. Propos simple, net et concis. Il y a sur l’assiette juste ce qu’il faut. Chaque plat est enlevé, stylé, empreint d’une élégance tranquille.
La carte des vins, assez riche, est composée pour le dîneur classique — mettons l’armateur lorientais —, qui veut du panache et n’aime pas qu’on l’asticote avec des frivolités. C’est pourquoi les grands bordeaux classés — mais aussi les seconds crus de crus classés, plus abordables — ouvrent la marche tambour battant. Il y en a de chers, il y en a de raisonnables. La sommellerie a veillé à satisfaire tous les budgets.
La sélection de vins bio est fort intéressante dans un lieu d’apparence si traditionnelle, et pour le cidre, on n’a pas coupé les cheveux en quatre : on a carrément convoqué le très frais, très énergique cidre cornouaillais du manoir de Kinkiz — une petite décharge électrique à chaque gorgée, une belle volée de tannins, dans ta face, un cidre d’homme, qui fait pousser les poils.
Après ce mini-électrochoc, nous passons à la volupté : cet anjou blanc bio fait tinter toutes les clochettes de son chenin câlin, rond et miellé. Ce n’est pas ici qu’on va vous servir de ces blancs de Loire en sous-maturité dont s’esbaudissent certaines caves parigotes et que j’utiliserais plutôt pour déboucher les canalisations. En rouge, on nous a dégoté un très beau saumur également bio, « pas un saumur-champigny, cet ennui profond » observe notre compagnon (soul brother — j’ai enfin rencontré quelqu’un que le saumur-champigny emmerde autant que moi), un vrai saumur rouge de cabernet franc, souple et pourtant tendu, rabelaisien avec des notes de laurier brûlé. Information utile, donc : si vous annoncez au sommelier qu’il peut faire de vous ce qu’il veut, vous ne prenez aucun risque.
C’est plus qu’un lieu où l’on va, où l’on revient : c’est un lieu dont on rêve quand on en est parti. Il faut y aller parce que c’est bon. Il faut y aller parce que c’est beau. Parce que le personnel est d’une gentillesse extrême. Parce que c’est une espèce de bulle ouvrant sur le rêve. Parce qu’on y goûte une atmosphère de noblesse et d’humilité, ce qui constitue la vraie noblesse. Enfin parce que c’est un petit concentré de Bretagne qui s’offre à vous de façon émouvante.
Château de Locguénolé (Relais et Châteaux). Locguénolé, 56700 Kervignac. Tél. : 02 97 76 76 76. 14 chambres et 8 suites. Menus : « Éveil de vos sens » (menu dégustation en sept services) 98€. « Promenade gourmande » de 39 à 68€ selon le nombre de plats choisis, et 12€ de supplément pour le plateau de fromages dont vous auriez tort de vous priver, car il est exceptionnel. Carte environ 90€. Ouvert le soir de 19 h 30 à 21 heures du lundi au dimanche ; au déjeuner seulement le dimanche de 12 h 30 à 13 h 30. Fermé lundi.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud