Château Larrivet Haut-Brion : une barrique à la mer

Parfois, dans la vie, il faut savoir mettre de l’eau dans son vin. Mais est-il bon de mettre du vin dans l’eau ? Voire dans l’eau de mer ? C’est ce que fait, depuis quelques années, l’équipe du château Larrivet Haut-Brion, en appellation Pessac-Léognan, à son millésime rouge 2009. Mardi 27 mars se tenait à L’Appartelier, rue des Tournelles à Paris, la dernière édition de cette expérience. Nous avons dégusté dans trois verres le millésime 2009. Et dans chaque verre, il n’était ni tout à fait le même ni tout à fait un autre.

L’Appartelier, rue des Tournelles (Paris), où se déroulait la dégustation.

Autrefois, lorsque les vins de Bordeaux prenaient la mer pour de longs voyages aux Indes et que les invendus en revenaient barrique pleine, ces derniers avaient subi des transformations notables. Le vin était plus rond, plus fondu, plus souple, bref il s’était amélioré. Le roulis et le tangage des navires, les variations de température et on ne sait quels autres facteurs avaient produit une sorte de vieillissement accéléré. Le voyage, que l’on dit néfaste au vin, peut lui réussir. Ces observations sont à rapprocher d’une autre expérience, plus récente : celle des bouteilles de vin de Bandol que l’on a trouvées meilleures après un séjour sous-marin d’une année. Mais il s’agissait de bouteilles et non de barriques. La condition du test qui nous intéresse, justement, c’est la barrique, le bois et non le verre.

Bruno Lemoine et Émilie Gervoson, fille des propriétaires du château Larrivet Haut-Brion.

La dégustation est présentée par Bruno Lemoine, directeur général et vinificateur du château Larrivet Haut-Brion. À la première dégustation, en 2012, étaient présents le dégustateur Bernard Burtschy, l’œnologue Michel Rolland, le photographe Guy Charneau et l’équipe technique du château. Déjà, le vin de la barrique immergée offrait des différences de qualité surprenantes. Une deuxième dégustation, en 2014, donna des résultats similaires.

À gauche Neptune, à droite Tellus.

Voici le principe : le millésime rouge 2009 est versé dans deux barriquots de 55 litres. La taille réduite du contenant offre davantage de surface de bois pour moins de liquide ; l’apport physique du matériau est donc plus notable que dans une barrique bordelaise classique. La chauffe du bois est faible, douce, afin de ne pas fausser les vins.

Neptune dans les vases du bassin d’Arcachon.


Neptune après un brin de toilette.

Le vin du premier barriquot, élevé six mois supplémentaires en chais, est baptisé Tellus (terre). Le second, Neptune (faut-il développer ?), est immergé six mois dans l’eau du bassin d’Arcachon à deux mètres de profondeur. Aux grandes marées, il affleure presque ; le reste du temps, tout est dans l’eau. Le bois, poreux, permet des échanges entre le vin et le milieu marin. Mais seulement le bois et non la bonde, qui reste bien étanche, en inox vissé dans le barriquot.

Ouverture de Neptune.

Stéphane Derenoncourt, œnologue-conseil du château Larrivet Haut-Brion, est présent. « C’est un excellent millésime solaire, dit-il de ce 2009. Il donne des vins atypiques au style exotique et aux notes de fruits mûrs. Il […] est construit sur la sucrosité, sur des notes chaudes et généreuses. »

Pierre Guillaume, directeur de la tonnellerie Radot, qui a fourni les barriquots.

2009, donc, dans les trois verres. À gauche, le vin témoin : 35 % merlot, 65 % cabernet sauvignon. Cependant, caractéristique d’une année chaude, le merlot prend l’avantage sur le cabernet : un « vin bonbon », précise Stéphane.

Au milieu, Tellus, élevé six mois supplémentaires en chai dans le barriquot. Teinte plus soutenue, plus sombre et plus stable, due à l’apport de bois. Nez adouci, arrondi, rose rouge ; il semble que le vin ait pris du « sérieux ». « À la dégustation, note Stéphane Derenoncourt, on trouve une impression de rigueur et de longueur supplémentaire. Le côté fruit confit est un peu gommé par le renforcement des tanins. »

Et à droite, Neptune, le véritable objet de l’expérience : la robe a encore pris quelques tons d’obscurité et le nez est remarquablement iodé ; un apport de sodium a eu lieu grâce à la microporosité de la barrique. Inversement, l’alcool a migré du vin vers l’eau de mer : un demi-degré a été perdu. On note aussi une polymérisation des tanins : ceux-ci sont plus fondus, la texture est plus souple et plus déliée, le vin est comme patiné. « Les notes de fruits mûrs sont contrebalancées par l’iode qui apporte énormément de fraîcheur au vin et gomme son amertume. Le polissage est spectaculaire et n’est pas sans, paradoxalement, évoquer un terroir calcaire », note Stéphane Derenoncourt.

L’allusion au calcaire vient à point, car après cette dégustation studieuse, nous goûtons quelques huîtres du bassin d’Arcachon élevées par Joël Dupuch, cette fois arrosées du délicieux châteaularrivet-haut-brion blanc : très belle expression, droite et fraîche, du sauvignon.

« Il faut maintenant recommencer l’expérience sur des vins de profils différents », observe Stéphane Derenoncourt. Et comment ! Pourquoi pas sur le blanc, justement ? De toute façon, il ne peut s’agir que d’une expérience ; la commercialisation n’est pas envisageable, car le vin vieilli à distance de son chai et de son terroir perdrait de facto son droit à l’appellation.
Merci à Émilie Gervoson et Anne-Laure Pierrot.

À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud, excepté photos des barriques   : droits réservés (©Château Larrivet Haut-Brion).

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