À première vue, Il Bacaro est une trattoria vénitienne à Paris, ce qui n’est déjà pas courant. Mais sa singularité va plus loin : de par les origines d’Eleonora Zuliani, la cheffe, c’est aussi une ambassade de la cuisine du Frioul. Cette région du nord-est de l’Italie, entre la Vénétie et la Slovénie, est célèbre pour ses vins (surtout blancs), mais sa cuisine est peu connue en France. Comme à Venise, les produits de la mer y jouent un rôle de premier plan, et l’art des épices douces — cannelle, girofle, vanille — y est assez développé.
Notre repas se déroulera sous la surveillance de Big Jim, le sanglier de la maison.
Eleonora a fait ses études d’architecture à Venise. Cela crée des liens, culinaires notamment. Sa cuisine est fortement marquée par ce séjour vénitien. À Paris, elle a étudié la cuisine à l’école Ferrandi avant d’intégrer les cuisines du Caffè Stern, puis du Caffè dei Cioppi (réincarné depuis en Osteria Ferrara). Elle interprète les plats traditionnels avec naturel, inventivité et fraîcheur. Selon Ilaria, qui me fait découvrir l’endroit, la carte du Bacaro se recentre de plus en plus sur le style frioulan. Quoi qu’il en soit, le goût est là. Ce goût transalpin si rarement reproduit de ce côté-ci des Alpes. La touche maternelle qu’Eleonora apporte à sa cuisine fait de ce « restaurant de poche », comme il se définit lui-même sur sa page d’accueil, une adresse rare et précieuse.
La carte se compose de cicchetti e antipasti (entrées) ; primi e secondi (plats), formaggi e dolci (fromages et desserts).
Notre dîner commence par un cicchetto : baccalà mantecato, une crème de morue servie sur des tranches de polenta frite. C’est chaud, onctueux, fondant. Mais en restant dans ce chapitre des entrées, cela aurait aussi bien pu être des rotolini di bresaola (rouleaux de viande séchée au fromage frais), un carpaccio d’espadon ou des polpettine (boulettes à la sauce tomate).
Notre vin : une ribolla gialla du Frioul choisie par Frédéric, le mari d’Eleonora. Fine acidité, légère salinité, fraîcheur. Le vin prend de la rondeur après l’ouverture de la bouteille. La carte des vins, exclusivement italienne, explore la botte de la cuisse au talon, et l’on a bien envie d’en découvrir plus. Le prosecco ne manque pas à l’appel, pas plus que la bière Nastro Azzuro, le spritz (à l’Aperol ou au Campari, au choix), le negroni, le limoncello et, côté soft drinks, les rares chinotto et cedrata.
Deuxième plat : toc’ in braide, polenta moelleuse avec crème de fromage et légumes (artichauts, trévise). Touche Eleonora : le plat est parsemé de polenta frite et garni d’une tuile aux graines de pavot qui apportent une note croustillante.
Vous ne voyez rien, c’est normal, c’est noir et blanc : savoureuse seiche à l’encre, servie avec de la polenta blanche.
Les cjalsons sont des ravioles frioulanes constituées d’une pâte à base de pomme de terre, comme une pâte à gnocchi. Au lieu de l’étaler à la main, comme le veut l’usage courant, Eleonora le fait au rouleau : elle est ainsi plus fine et plus régulière. Plus légère aussi. Autre note personnelle, elle les farcit au canard et les recouvre de pousses d’épinard fraîches. Chaque plat est composé avec un grand souci d’équilibre : s’il y a du noir, il y aura du blanc. S’il y a du chaud-crémeux, il y aura une touche de frais et de végétal. Cuisine de famille, cuisine de l’attention.
Le dessert : ricotta vanillée détendue avec une petite quantité de crème fouettée et de sucre glace ; éclats de chocolat noir, écorces d’orange sautées-caramélisées ; courge délica fondante, langues de chat maison à la pâte de pistache.
Il faudra revenir pour explorer davantage cette superbe carte et découvrir d’autres vins. Merci à Eleonora ainsi qu’à Ilaria Brunetti et Jean Dusaussoy de Septième Goût qui m’ont fait connaître cette adresse splendide.
Il Bacaro – 9, rue Auguste-Laurent, 75011 Paris. Tél. : 01 43 79 16 66. Métro Voltaire. Ouvert du mardi au vendredi de midi à 15 heures et de 19 h 30 à 23 h 30. Le samedi de 19 h 30 à 23 h 30. Fermé dimanche et lundi. Formules déjeuner (sauf jours fériés) 12,50, 16, 17 et 18 €. Carte environ 35 €.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud