Le bar à saké fonctionne comme une mini-izakaya (restaurant à saké). Plusieurs crus de saké froid y sont proposés à l’ardoise, mais en consultant la carte, on peut s’offrir une des nombreuses références de saké proposées par la maison, en accompagnement de petits plats confectionnés par le nouveau chef, Kousuke Nabeta.
Par exemple ce thon flambé minute au chalumeau.
Au sous-sol, Golden Promise est un lieu au concept unique : un bar à cocktails entièrement dédié au whisky et conçu par La Maison du Whisky, qui a réalisé un véritable travail d’historien en rassemblant un millier de références, dont certaines disparues des marchés publics. De 11 à 290 € le verre ; purs ou en cocktail, whiskies d’Écosse, du Japon et d’autres pays… Les bouteilles, disposées sur des étagères rétroéclairées, constituent le décor du bar.
Après le bar à saké et avant le bar à whisky, nous sommes venus faire l’expérience de la pièce maîtresse de cette maison. Au fond de l’établissement, nous découvrons un des secrets les mieux gardés de Paris : Erh, le restaurant gastronomique. Un lieu au design sobre et apaisant.
Depuis le 6 juin, le restaurant s’est doté d’un nouveau chef. Keita Kitamura détient déjà un CV d’athlète : cet ancien second de Narisawa, à Tokyo, travaille en France depuis 2008. Il y est d’abord chef de cuisine aux Petites Sorcières, le bistrot de Ghislaine Arabian dans le XIVe arrondissement de Paris, puis chez Pierre Gagnaire et enfin Chez les Anges. De 2011 à 2016, il est chef du Bon Accueil, toujours dans le VIIe, et en 2017 de Margo, rue Jean-Pierre Timbaud. Quel parcours ! Keita s’est frotté à tous les styles de casserole, de la cuisine bourgeoise au gastro de haut niveau en passant par la bistronomie d’entre Charonne et République. C’est pourquoi, assis à notre table sous la verrière du restaurant, nous retenons notre souffle. On sent que ça va être grand. Ça l’est.
Comme bon nombre de ses compatriotes cuisinant en France, Keita réalise une « cuisine franco-japonaise ». Je ne m’attarderai pas sur cette définition, sachant que d’une part la cuisine française fascine les chefs japonais depuis plusieurs décennies et que d’autre part l’inverse est vrai depuis aussi longtemps. Il en résulte une cuisine d’échange en laquelle bien futé serait celui qui reconnaîtrait les éléments propres à l’une ou à l’autre, tant les deux ont passé de temps à s’interpénétrer (si j’ose dire).
Particularités de l’offre : seul un menu dégustation est servi en mode omakase, autrement dit « surprise du chef ». On ne sait pas ce qu’on mange, on se met entre les mains de l’homme de l’art. Pour ma part, j’adore. Le prix est modique — 65 euros — pour la générosité et la qualité servie : une extension accords mets-vins (plus exactement mets, vins et sakés) est proposée pour 45 euros de plus (110 € donc). Personnellement, je ne prise guère les accords mixtes saké-vin sur les repas. On m’en a beaucoup servi au Japon et à chaque fois, j’avais du mal à me remettre debout. Passer de la dimension gustative du saké à celle du vin — toute différente — et alterner sans cesse les deux est au-dessus de mes forces. C’est pourquoi je demande à faire du tout-saké. La maison n’a pas prévu ça mais va faire un effort (bienvenu), en me demandant de donner à chaque fois mon avis sur l’accord. Ça roule.
Nous commençons par un plat de toute beauté (que je vous illustre en deux ambiances photo), un poulpe sur un lit de caviar d’aubergine, aburi de maquereau, gelée de tomate à l’hibiscus. Grâce, saveur, finesse, maîtrise des textures. Le poulpe est cuit tendre et moelleux comme selon la recette galicienne (la manière japonaise le préfère plus caoutchouteux). L’aburi est une préparation de maquereau cru rapidement flambé. Très bel équilibre d’acidité, de fondant et de saveurs marines.
Je ne note pas les accords sakés, préférant me concentrer sur les sensations. À chaque fois, l’accord ne laisse rien à désirer. Je sais par mes compagnons de table que leurs vins (trois blancs, un rouge) sont également bien choisis.
Mi-cuit de rouget et de langoustine, pêche plate et haricots verts, sauce jus de langoustine. Irréprochable, cuissons au petit point.
Foie gras fumé au bois de cerisier japonais et grillé, brioche, mangue caramélisée. Un tour de force, pas moins : servir du foie gras poêlé en plein été (climatiquement, nous y sommes) sans procurer la moindre sensation de lourdeur. On se régale.
Un tel contrôle des éléments que même le saké dassai 50 passe comme une lettre à la poste sur le tout. Le saké n’est pas vraiment amateur de foie gras ; voilà une exception.
Délicieux tempura de lotte avec coques, courgettes et bouillon de persil plat. Succédant à la richesse chaleureuse du foie gras, un plat tout en fraîcheur. Une superbe maîtrise de chaque détail et de la succession des plats.
Le saké continue d’assurer sans problème avec cette joue de veau, burrata, petits pois et haricots plats, oignons nouveaux grillés, purée de petits pois. Une viande fondante, légère qui ne vient pas plomber l’expérience — la viande en fin de menu dégustation se révélant trop souvent un coup de grâce.
Petit dessert léger comme un nuage, il ne fallait rien de plus : glace au yaourt, espuma menthe à l’anis étoilé, abricot et sauce caramel.
J’appelle ça un sans-faute. Tout le repas volait très haut sans aucune baisse de régime, aucune faute de goût. Rien en excès, rien en manque, mais aucun ennui, aucun tic, aucun automatisme. Tout ce qu’on aime dans le néo-gastro sans ce qui nous embête. Un vrai cuisinier, sincère, passionné, concentré, sans esbroufe, sans provoc, tout dans la sensation pure. La vraie haute cuisine comme on l’aime, légère et inspirée, sensuelle et maîtrisée, fraîche et goûteuse, toute en finitions poétiques et en beauté plastique, mais jamais la forme ne prend le pas sur le fond. Dépêchez-vous d’y aller avant que tout Paris ne s’y précipite.
Restaurant Erh, Maison du saké. 11, rue Tiquetonne, Paris Iie. Tél. 09 67 61 97 03. Heures d’ouverture : du lundi au samedi de 19 heures à 21 h 30. Boutique : du lundi au samedi de midi à minuit. Golden Promise : du mardi au samedi de 19 heures à 2 heures.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud