Alors même que le guide Michelin Vietnam vient de paraître pour la première fois et que la plus part des chefs français installés sur place ont été ignorés dans les sélections, retrouvez l’interview du chef Didier Corlou parue dans Le Petit Journal qui depuis 34 ans anime la scène culinaire de Hanoi et depuis quelques années celle de Hoi An. Passionné d’épices, il en sélectionne les plus rares dans ce pays qui ne manque pas de saveurs, il est considéré comme une des meilleurs » nez des épices » au monde.
L’équipe du Petit Journal Vietnam s’est rendue dans son restaurant à Hoi An pour lui poser quelques questions sur son parcours, sa cuisine et ses goûts culinaires.
D’où venez-vous et quel est votre parcours académique ?
Didier Corlou : Je viens de Bretagne, de Hennebont plus particulièrement. J’ai été élevé par ma grand-mère qui adorait cuisiner. Ma mère m’a ensuite repris en Bretagne et j’ai eu des frères et sœurs. J’aidais ma mère à faire les gâteaux, à hacher le pâté et bien sûr à goûter les fonds de plat ! A 14 ans, j’ai voulu apprendre le métier et j’ai commencé par la plonge puis j’ai continué avec un CAP cuisine. Je suis ensuite parti travailler à Aix-en-Provence, à Paris, du côté de Montpellier, etc.
Que pouvez-vous nous dire sur le « tour du monde initiatique » que vous avez entrepris à vos 20 ans ?
DC : Je suis parti en Côte d’Ivoire en 1976 et je suis resté 5 ans en Afrique où j’ai travaillé le piment, la papaye verte, le curcuma. En 1980 je suis parti à Bora Bora pour un contrat d’un an. J’y ai pêché les poissons, découvert la cuisine naturelle et sincère. Ensuite j’ai participé à l’ouverture du premier hôtel des Comores où je suis resté deux ans. Puis on m’a proposé les Caraïbes, la Martinique, où j’ai appris à travailler le gingembre, les épices et la vanille surtout. C’était l’île aux épices. C’est là que j’ai commencé à développer ma cuisine du soleil. Après ce fut le grand départ pour l’Asie, je me rapprochais du Vietnam car c’est là où je voulais venir : la Malaisie où je travaillais pour un milliardaire, puis j’ai travaillé un peu en Thaïlande et au Cambodge pour le Métropole.
Vous êtes le 1e chef français à être arrivé au Vietnam après la guerre. Pouvez-vous nous raconter comment s’est passée votre arrivée ?
DC : Je suis arrivé au Vietnam en 1991 et j’ai été chef au Sofitel Métropole de Hanoi pendant plus de dix ans. En 2007, j’ai ouvert mon premier restaurant à Hanoï. Je voulais venir au Vietnam pour une histoire très personnelle mais aussi pour la cuisine évidemment. Il restait un héritage en France des nems, des bouillons, etc, et j’ai retrouvé cette tendance asiatique un peu partout dans le monde. Donc je connaissais cette culture culinaire mais il s’agissait seulement de la culture indochinoise enrichie de la cuisine française. Je n’avais que ça comme témoignage, exotisé par les français. Quand je suis arrivé au Vietnam, c’était une grande découverte pour moi. Les herbes surtout, il y avait une herbe par plat (le porc avec la coriandre, le basilic cannelle avec le canard, etc). Le nuoc mam aussi m’a fasciné car le Vietnam est quand même le seul pays à faire une sauce avec du poisson comme ça !
Vous êtes régulièrement qualifié de « Nez des épices » ou « Magicien des épices », pouvez-vous nous expliquer votre rapport aux épices ?
DC : J’ai découvert les épices aux Comores et en Martinique. C’était vraiment les îles aux épices, aux parfums. C’est là que j’ai commencé à faire ma langouste à la vanille ou des signatures comme ça. On a tendance à penser que l’épice est sec. Mais l’épice peut être racine, écorce, graine. Au Vietnam, j’aime cuisiner toutes sortes d’épices : la citronnelle, le gingembre, la cannelle, le poivre rouge Phu Quoc. Je les trouve aux quatre coins du Vietnam auprès des minorités. J’ai une boutique d’épices qui s’appelle Épices Corlou. Je commercialise mes mélanges d’épices, par exemple Hanoi 5 épices ou Curry d’Halong.
Comment qualifiez-vous votre cuisine en 5 mots ?
DC : Les bases, Passion, Soleil, Épice, Créativité.
Quelle est la recette dont vous êtes le plus fier ?
DC : Ah il y en a pleins ! C’est difficile car ça dépend des saisons et des endroits où je suis !
Je dirais le Pho foie gras, ou le Pho légume si je suis à Dalat et le Pho à la langouste si je suis à la mer…
Quel est l’ingrédient vietnamien que vous préférez ?
DC : Le nuoc mam ! J’en mets même dans la cuisine française, c’est un releveur de goût.
Quel est l’ingrédient vietnamien que vous détestez ?
DC : Je dirais l’herbe poisson, diếp cá, qui sent vraiment le poisson. C’est l’ingrédient que j’ai le moins l’habitude de voir dans ma cuisine car j’ai moins l’habitude de le manger.