L’article commence ainsi : » Les statistiques sont des outils formidables, servis bien chauds fumants à ceux que cela arrange. Désireux d’apprendre quand-combien-comment-quoi-que mangent les Français, je passai hier deux heures à explorer et éplucher le ouebe sur la question … «
Le papier est donc signé par Le Concierge Masqué ( Pierre Léonforte ) : Journaliste et auteur partageant sa vie entre Paris et Milan, il collabore à de nombreux titres de la presse magazine dont AD et la revue Schnock. Outre ses ouvrages publiés notamment chez La Martinière, il signe plusieurs des City Guides Louis Vuitton qu’il a co-créés en 1998.
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EXTRAITS
Les français des radins au restaurant
Et que leurs dépenses envisagées semblent ne pas dépasser la sphère de la cafétéria d’entreprise. En gros, la sortie au resto du Français moyen, c’est comme les soldes : un budget envisagé et toujours à la traîne des dépenses en Europe puisqu’il est avéré que l’avare hexagonal les lâche avec un élastique tant que les rabais n’ont pas atteint 60%. …
Les parisiens ces Bobos formatés
Pardi, il n’y a plus qu’eux qui sortent et qui bouffent, ‘font rien d’autre, d’ailleurs, le resto c’est leur seule sortie, tout leur fric y passe et aussi celui qu’ils n’ont pas. Pour le Parisien, déjeuner et/ou dîner au restaurant est un sport national, un statut, une réputation, un hobby. Avec plus de 18.000 établissements, il a le choix mais toutes les adresses ne lui sont pas recommandées et il est des arrondissements, des quartiers où il refuse de mettre les pieds, de peur d’écorcher son standing, ou pire, d’y être vu. Son répertoire se concentre donc dans l’est-parisien, un peu dans le centre 1er/2ème arrondissements, le 9ème et Saint-Germain-des-Prés/Cherche-Midi, mais en carottant le terrain plus consciencieusement qu’un explorateur polaire en Terre Adélie.
Aux petits oignons… ça ne vous rappelle rien ?
Sur le terrain, l’incessante prolifération d’ouvertures de restaurants forcément tous formidables et situés dans le même micro-quartier si porteur s’accompagne d’une fanfare médiatique aux p’tits oignons anticipée puis relayée par les réseaux sociaux.
Le décor forcément signé par une designeuse émergente
Le décor ? Une ancienne teinturerie, du jamais vu, signé par une designeuse émergente adepte du sphérisme ambientiel. Les proprios ? Des anges rock, des potes de Henri IV ou de Dauphine, venus du marketing du luxe et disrupteurs de codes (traduire : on va se faire un max de fric en deux ans avant de revendre).
La brigade branchée
La brigade forcément jeune ? Forcément gagnante (comprendre tête-à-claque mal élevée, donc pas pro). Les chefs ? Des génies péruviens tatoués ayant appris à ouvrir les barquettes sous-vide à Londres chez Momo, passés à la plonge dans un Ducasse quelconque ou champion de la découpe du daikon en milieu hostile.
Des prix d’appel qui appelle le porte-monnaie
Le menu du déjeuner servi du lundi au vendredi affiché 17,50 euros avec la plupart des entrées et plats en supplément +4 euros ? Une aubaine ma poule. Le soir, c’est plus cher, six fois plus cher. Mais y a un voiturier, et une play-list. Quant aux réservations, on peut toujours courir.
On ne mange plus on déguste, jusqu’à l’addition
Sachant qu’il s’inaugure à Paris chaque semaine environ 17,5 restaurants de cet acabit et qui sont déjà -par quel mystère?-, bookés full complets trois mois avant d’ouvrir et pour les quatre mois à venir, que la moyenne des couverts tourne autour de 40 fourchettes avec menu imposé à 70 euros, calculez le nombre de fois que sera proférée l’expression « une bonne dégustatiooooon ». Car on ne mange plus dans les restaurants. On ne s’y restaure plus. On déguste. En particulier l’addition.
Phrases préparées, vocabulaire bidouillé
On y savoure également tout un vocabulaire alambiqué bidouillé par des protocoles sinon abscons, déjà caduques, mués en simagrés et qu’on oblige les serveurs et serveuses à apprendre par cœur. Naviguant entre morgue et arrogance, prétention et ignorance, impolitesse et caricature, l’expérience d’un repas dans un restaurant parisien contemporain a viré du plaisir convivial à un concours de vanités insupportable. Avant on sortait pour se distraire, passer un bon moment.
Une profession qui se la pète
Une profession qui se la pète en confirmant à chaque parole ou geste, la véracité du bon vieux sketch de Bigard, L’accueil au restaurant, tout en finesse et élégance. Un sketch qui aura tourné à la mauvaise béchamel pour le comique-troupier au slip ravageur : lui-même improvisé restaurateur à Mougins, il y boira le bouillon.
La mauvaise foi
On se calme et on boit frais. Voici donc un florilège partial, de mauvaise foi et décidément soupe-au-lait de tout ce qu’on aura récemment entendu dans les restaurants modasseux de la capitale (et en région), qu’on aura supporté et dont on se délecte désormais à l’avance à peine attablé, tant le ton y est téléphoné et qu’on sait ce qui va sortir. Interdit de glousser, de pouffer, de s’esclaffer ou d’objecter : on a là affaire à une population amateur, chagrine, susceptible, jalouse, imperméable à toute forme d’humour, vite vexée et qui saura se venger en crachant dans le bouillon de kumbawa ou en pétant dans la méringue de la pavlova déconstruite.
Le service parisien
Au jeu de massacre du client au restaurant, le big enjeu du service parisien consiste à neutraliser la table, à isoler le mauvais-coucheur ou la chieuse en se gagnant la sympathie du reste de la tablée, encouragée à s’extasier sur le moindre brin de romarin brûlé au chalumeau. Diviser pour régner : la devise fonctionne à plein régime. Derrière la caisse, on se fiche royalement que le client mécontent ou déçu ne revienne pas. Un de perdu, dix de réservés. Il y aura toujours des nouveaux gogos pour chauffer les chaises, comme au guignol. Juste qu’on se demande alors qui régale.