À L’Enclume, nouveau 3 étoiles d’Angleterre du chef-patron Simon Rogan, le chef de cuisine français Paul Burgalières nous parle de cette troisièmeétoile
C’est en plein cœur du Lake District, région verdoyante et fertile de l’Angleterre, que se trouve L’Enclume, le nouveau restaurant trois étoiles d’outre-Manche. Si le nom français de cet établissement pourrait faire supposer une cuisine française, il n’en est rien ; L’Enclume sert une cuisine d’auteur autour des légumes, dans une veine britannique moderne, et résolument tournée vers la nature. S’élevant dans une ancienne forge – d’où son nom–, le restaurant s’insère avec bonheur dans un coin environné de verdure, où il est mené depuis vingt ans par l’Anglais Simon Rogan, chef-patron moult fois primé. Hasard de la vie, Rogan est secondé sur place par un Français, le head-chef Paul Burgalières, qui y travaille depuis bientôt 5 ans. Nous avons échangé avec ce dernier. Un entretien à découvrir ci-dessous.
F&S : Bonjour Paul ; vous avez 31 ans, vous venez de Limoges, et vous travaillez à L’Enclume depuis presque 5 ans. Racontez-nous votre parcours.
Paul Burgalières : Je suis parti une première fois en Irlande à 18 ans, juste après l’école hôtelière à la Rochelle. Puis, après une année chez Michel Trama en tant que commis, et une saison chez Michel Rochedy à Courchevel, je suis parti à Londres, à L’Atelier Robuchon ; j’y suis resté trois ans et demi. Puis je me suis installé à Copenhague, où j’ai exercé 4 ans au restaurant Geranium du chef Rasmus Kofoed. C’est là-bas que j’ai compris qu’en restauration aussi, la nature peut nous dicter ce que l’on doit faire. Quatre ans plus tard, ma femme a suggéré qu’on parte à nouveau ; alors nous sommes revenus en Angleterre. Je ne voulais pas retravailler à Londres ; une opportunité s’est présentée pour rejoindre le groupe de Simon Rogan, et je l’ai saisie. Cela va faire cinq ans que je suis à L’Enclume.
F&S : Parlez-nous de L’Enclume, qui vient de rejoindre le club très fermé des trois étoiles de Grande-Bretagne.
P.B. : J’y vis une expérience très enrichissante ; du côté nature comme du côté humain. Pour le côté nature, c’est enrichissant car nous travaillons avec notre propre jardin/ferme, d’où nous tirons la majorité de nos produits. On fait aussi nos propres conserves. De plus, le restaurant est situé dans un petit village (Cartmel) en pleine nature. Pour le côté humain, j’apprécie que l’équipe soit soudée ; la troisième étoile est arrivée à un moment où notre équipe se connaît désormais très bien, et fonctionne facilement ensemble. Entre Simon, le chef-patron, Tom Barnes, le chef-exécutif du groupe, et moi-même, nous communiquons beaucoup.
F&S : Comment décririez-vous la cuisine de L’Enclume ?
P.B. : C’est une cuisine d’auteur, sur des légumes. Le menu n’est pas végétarien, mais il est directement inspiré de ce que nous donne notre jardin. C’est d’ailleurs pour cela que nos habitués reviennent chaque saison, pour goûter les variations de notre cuisine. Nous servons un menu dégustation unique, avec une version longue disponible le midi et le soir, et une version plus courte le midi. Il y a 15 plats au menu dégustation complet, et 10 plats au menu plus court.
F&S : Combien d’établissements le groupe de Simon Rogan exploite-t-il ?
P.B. : Le groupe a trois restaurants à Cartmel, deux restaurants à Hong-Kong, et un hôtel-restaurant à 30 minutes de Cartmel. L’Enclume fait également du take-away, initié pendant la pandémie. Ce service a rencontré un tel succès, qu’on l’a conservé depuis.
F&S : Quel genre de chef-patron est Simon Rogan, chef très connu en Angleterre (il a notamment tenu les rênes du Fera, le restaurant du palace The Claridge’s à Londres), et créateur de L’Enclume ?
P.B. : C’est une crème. Au début, ça n’a pas été simple de comprendre comment il fonctionne, car il est très discret ; mais il est aussi très abordable. Il a ouvert ce restaurant il y a 20 ans, sans aucun investisseur. Il n’en a toujours aucun, d’ailleurs – il souhaite rester indépendant. C’est un homme génial. Ses cuisiniers restent avec lui pendant des années ; ce qui prouve bien l’homme qu’il est. Il nous implique, il nous demande notre avis. Bien sûr, il est exigeant ; c’est une personne qui travaille énormément. Mais c’est quelqu’un avec qui il est agréable de travailler. Il pousse toujours pour la qualité ; et pour faire des choses simples niveau goût.
F&S : L’Enclume a tout juste décroché sa troisième étoile (dans l’édition 2022 du guide Michelin Grande-Bretagne & Irlande). Un commentaire sur cette récompense ultime ?
P.B. : On a toujours travaillé pour l’obtenir. Ça a été un long travail pour y parvenir ; un effort de tous les jours. Il a fallu pousser les équipes pour la qualité, pour la constance, pour le développement et le maintien du jardin. De plus, nos plats se sont raffinés davantage ces dernières années ; on a voulu rester centrés sur le produit ; qu’il demeure le plus pur possible. Notre but était de faire quelque chose que nos clients puissent comprendre, sans qu’ils perçoivent nécessairement tout le travail qu’il y a derrière. Heureusement, tous nos fournisseurs ont suivi pour produire cette qualité. Et aujourd’hui, nous sommes très heureux ; mais on garde le focus sur la qualité. Car finalement, cette troisième étoile, c’est un point de départ. Il y a encore tellement de choses à faire ! Nous voulons continuer à nous concentrer sur la nature ; à être toujours plus attentifs à la partie recyclage. À terme, nous aimerions par exemple avoir des panneaux solaires ; et du bétail dans notre jardin. Bref, le groupe est en développement continuel !
F&S : Vous avez travaillé en France, en Angleterre et au Danemark ; quelles sont les grandes différences que vous avez remarquées entre ces trois pays, en terme de management des équipes par exemple ?
P.B. : Au Danemark, on travaillait quatre jours par semaine ; par rapport à la France ou à l’Angleterre, où les gens sont accros au travail, on prenait un peu plus le temps de profiter de notre environnement. Au Danemark, les gens essaient d’avoir une vie plus qualitative ; un meilleur rapport vie professionnelle/vie privée. Par ailleurs, j’ai noté qu’en Angleterre, on est davantage inclus dans le processus de gestion d’un restaurant ; on nous implique dans le management, dans la gestion des coûts. Enfin, c’est au Danemark que j’ai appris à écouter les autres cuisiniers, avec un esprit très ouvert.
F&S : En terme de qualité de vie justement, la région du Lake District (connue pour ses lacs, montagnes et paysages picturaux) est toute indiquée.
P.B. : Oui. J’apprécie de vivre là, car on est au milieu de la nature ; à peine sorti du restaurant, on tombe directement sur un champ, d’où l’on aperçoit les collines. Du coup, après le travail, on peut profiter de la vie ; nager dans les lacs, faire de l’escalade. On a une belle qualité de vie. Comme l’équipe est soudée, on fait beaucoup d’activités ensemble ; c’est important. Par ailleurs, le groupe de Simon Rogan nous donne de bonnes conditions de travail ; à la naissance de mon bébé, j’ai eu droit à 2 semaines de congé immédiat, auxquelles s’ajoutent 4 semaines à prendre dans l’année. Ma femme, qui travaille dans le groupe aussi, a bien sûr eu ses congés maternité. Donc certes, on travaille de longues heures, mais nos conditions sont bonnes. Le groupe souhaite continuer sur cet axe. La pandémie est passée par là, qui nous a rappelé l’importance de la qualité de vie.
Par Anastasia Chelini
Propos recueillis en mars 2022