Maria Canabal journaliste et fondatrice du Parabere Forum  » La France, le Japon et L’Australie sont les pays les plus intéressants dans le panorama gastronomique mondial « 

,La journaliste Maria Canabal : le déclin du menu dégustation, l’égalité de genre en cuisine et les ingrédients du futur 

Aujourd’hui Food&Sens vous propose la traduction d’une intéressante interview à Maria Canabal paru sur « Il Mattino » de Naples pour le numéro spécial dédié au festival LSDM qui a eu lieu les 23 et le 24 mai derniers. LSDM est l’acronime de Le Strade Della Mozzarella (Les routes de la mozzarella) et est le nom d’un congrès international de cuisine d’auteur qui veut explorer toutes les potentialités des produits agro-alimentaires italiens, la mozzarella en premier. Maria Canabal, journaliste pour Le Nouvel Observateur, Monocle, Gourmet et Casa Vogue, ainsi que fondatrice de Parabere – Forum gastronomique international qui met les femmes à l’honneur, a animé pour l’occasion les interventions des chefs Yazicioglu et Avillez.

Quelles sont les tendances actuelles de la haute cuisine ?
A mon avis, on s’approche de la fin du menu dégustation qui pour moi est une vraie aberration. Un des plaisirs d’aller au restaurant, en fait, est de lire le menu, d’hésiter et avoir ce désir de tout choisir. Cependant, lorsque on opte pour un menu dégustation on n’a pas vraiment de choix. Ce n’est pas agréable de devoir dire au serveur, devant tout le monde, ce que l’on ne mange pas pour une question de goût ou d’intolérance, ni d’avoir à mélanger dans un même repas des ingrédients très différents entre eux. Foie et fraises, asperges et chocolat… Normalement ce sont des mélanges que l’on ne choisit pas. Bien sûr, pour la gestion de la cuisine c’est une option beaucoup moins chère et le travail est bien plus facile pour la brigade, mais le choix des mets est pour moi l’une des choses les plus agréables lorsqu’on sort manger au restaurant et il n’y faut pas y renoncer.

Quels sont les pays les plus intéressants dans le panorama gastronomique mondial et pourquoi ?
Du point de vue gastronomique, la France est toujours le pays de référence : je trouve très intéressant de suivre ce qui se passe dans les cuisines française, tout comme dans les boulangeries, dans les charcuteries ou dans les ateliers des artisans du goût. Puis il y a le Japon, un pays suspendu dans le temps où la recherche du sens esthétique dans chaque plat en fait un lieu à garder dans son propre horizon de comparaison. Et pour finir, je dirais l’Australie car c’est un territoire inconnu même pour les Australiens eux-mêmes. Ils mangent à l’européenne tout en gardant des influences asiatiques et ils utilisent des ingrédients indigènes qui sont très intéressants.

Quels sont les ingrédients de l’avenir ?
Je suis persuadée que les produits des forêts et tout ce qui est nature sauvage ont aujourd’hui un grand charme et stimulent beaucoup de créativité. En Australie, par exemple, les produits sauvages ont des saveurs inconnues et des caractéristiques nutritionnelles extraordinaires. Le salt bush par exemple – est une plante marine sauvage très salée que l’on cuisine sautée comme des épinards mais qui contient le 20 % de protéines en plus. Puis il y a les lichens et les mousses des forêts scandinaves. On les appelle des superfood, des superaliments, et il s’agit de produits qui ont toujours été consommés par l’homme et qui lui ont permis de vivre même dans des conditions climatiques difficiles. Les manger nous permet d’apprécier vraiment ce que la nature nous offre.

Parlons de la diète méditerranéenne et du thème central du congrès LSDM, « manger bien pour bien vivre. »
À mon avis, le rôle des chefs – celui de préparer, produire et faire connaître les bons aliments et la bonne cuisine – est très important parce qu’ils contribuent à diffuser un message positif et à attirer l’attention de tout le monde sur des aliments de qualité. Manger des plats de chefs étoilés est certes une expérience importante mais il est vrai que tout le monde peut bien manger chez soi en cuisinant des produits de saison et en choisissant des ingrédients locaux. Les pays méditerranéens ont une tradition culinaire très riche et il est réducteur de ne considérer que l’Espagne, la France et l’Italie ; je trouve qu’il est important de connaître aussi les plats du Maroc, de l’Egypte, du Liban, de la Turquie et d’Israël. Il s’agit de pays qui ont une cuisine très riche et très raffinée.

Et que pouvez-vous nous dire à propos de la mozzarella de bufflonne, la protagoniste de ce congrès ?
Ma relation avec la mozzarella de bufflonne est celle d’une parisienne qui en connaît parfaitement le jour d’arrivée en avion dans sa charcuterie habituelle et qui, dès qu’elle rentre à la maison, fait un trou dans l’enveloppe, la met dans une boule avec son eau et la mord au naturel. C’est certainement une rencontre savoureuse !

Les femmes ont toujours cuisiné pour nourrir leurs familles, mais elles ont dû lutter pour s’établir aux plus hauts niveaux de la cuisine gastronomique. Comment encourager l’égalité des sexes dans ce milieu ?
Quand on demande à un homme pourquoi il y a si peu de femmes dans la haute gastronomie, il répond que c’est un travail trop dur avec de très longues journées. Ce sont des réponses stéréotypées qui alimentent les préjugés. C’est vrai que c’est dur mais c’est fatigant tant pour l’homme que pour la femme ; la question est culturelle car la société attend des femmes non seulement qu’elles travaillent mais aussi qu’elles s’occupent du foyer et de la famille. Quand on pose la même question à une femme, elle ne dit pas que le travail est dur mais que les femmes sont payées le 28 % de moins, qu’elles ne sont pas invitées aux congrès, qu’elles ne sont pas membres des jurys aux concours et que la presse raconte peu de choses sur leurs histoires… Dans les cuisines il y a du sexisme, de la discrimination, des épisodes de harcèlement, donc si les conditions sont celles-ci, on ne peut pas être surpris si les femmes sont moins que les hommes. En parler, c’est déjà beaucoup. On les rend enfin protagonistes elles aussi.

Propos recueillis par Laura Guerra – Traduction : Lorena Lombardi

 

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