Marmites et murmures #1 : classer, ça ne mange pas de pain

Marmites et murmures, c’est une nouvelle rubrique Food & Sens consacrée aux infos d’initiés, en direct de notre pool d’investigateurs exclusif, aussi discret que fiable. Murmures, chuchotements, infos recoupées : nos informateurs ont toujours l’œil et l’oreille aux aguets.

Ce premier article répond notamment à quelques questions posées hier dans l’article sur les Best Chef Awards 2017.

DE LA DYNAMIQUE DES LISTES

La première question n’est pas formulée mais implicite : pourquoi tous ces classements, qui se recoupent partiellement et qui finissent par avoir « un sacré goût de réchauffé » ?

La réponse relève du bon sens et ne nécessite aucun informateur : tout simplement, les classements font plaisir. Ils font des heureux : les chefs. Et avec des chefs heureux (sans parler des offices de tourisme de leurs pays respectifs), on peut faire beaucoup de choses. Au départ, il n’y avait pas forcément d’arrière-pensée. Il semble que le 50Best, premier en date de ces classements, n’ait été initialement qu’un exercice du magazine anglais Restaurant, qui en comprit un peu plus tard l’immense potentiel et le principe, lequel depuis ne nous a plus quittés : la création d’une liste d’évaluation provoque immanquablement entre classificateurs, classifiés et clientèle une dynamique d’attractivité. Certains chefs du 50Best déclarent que ce type d’exposition médiatique leur procure plus de clientèle que le Michelin, voire suffit à remplir leur restaurant. Si je lance une liste, peu importe les critères de choix, je gagne sur tous les tableaux : je plais aux chefs qui s’y trouvent, je me les attache, je les fidélise sans prendre aucun risque. Un rapport subtil de dépendance se crée alors. J’ai tout à y gagner et rien à y perdre.

Et alors, pourquoi cette multiplication des listes ? Parmi plusieurs facteurs, voici les deux plus intéressants. Premier facteur : le dépit, voire la rage de ne pas y avoir pensé avant l’autre. Peu après l’apparition de la liste 50Best apparurent quelques tentatives de classement de restaurants au succès varié. La démarche était affichée texto : pourquoi eux et pas nous ? Par exemple la liste des 100, compilée par quelques journalistes nord-américains offusqués qui se déclaraient plus légitimes que les jurés du 50Best — c’est vrai quoi, on a sa dignité, même si ce n’est pas nous qui avons eu l’idée — mais leur initiative coula à pic (il faut dire qu’ils s’y étaient pris comme des manches). Plus personne ou presque ne s’en souvient. Second facteur : celui décrit plus haut — une liste, ça ne mange pas de pain et c’est tout bénef pour celui qui la crée. C’est aussi vrai pour les listes d’évaluation de restaurants qui se multiplient actuellement que pour les classements-palmarès de personnalités « qui comptent dans la restauration », quel que soit le critère de sélection choisi : âge, sexe, signe zodiacal ou autre : il suffit que le classement existe, le reste vient tout seul. Tout le monde est content, et donc tout le monde est gentil avec ceux qui font la liste, et l’industrie du grattage de dos réciproque, si précieuse dans le monde de la food, fonctionne à plein régime. Ce qui se donne l’air d’un jeu innocent à la Bridget Jones se révèle, si l’on sait s’en servir, un puissant instrument de pouvoir.

Le problème, c’est que tout cela risque de finir dans la confusion : trop de listes tue les listes. Plus il y en aura, moins on s’y retrouvera, et à la longue la machine à congratulations risque de surchauffer.

Enfin, une remarque d’un de nos informateurs à propos du palmarès du Best Chef Awards : « Félicitations à la famille Bras : places 2 et 35 avec un seul restaurant — faut le faire ! » En effet. Du coup, nous avons jeté un coup d’œil attentif au top 100 : bravo à Gélald Passedat (sic) et à Hélène Darroz (re-sic). Moralité : faites des listes tant que vous voulez, mais au moins relisez-vous !

BEST CHEF AWARDS : DERRIÈRE LE RIDEAU

TBC Mediacorp tel qu’il figure au registre du commerce polonais.

Retour sur quelques questions posées dans l’article de Food & Sens cité plus haut. D’abord, Food & Sens a trouvé TBC Mediacorp. En direct de notre informateur :

« Selon le registre de commerce polonais, TBC Mediacorp, la société organisatrice à Cracovie, est gérée par Joanna Dorota Ślusarczyk, Giancarlo Carmeni et Adriano Pellegrino.

« Giancarlo Carmeni est propriétaire du site worldofnoblesse.de en Allemagne, où il vend des sphérifications en boîte, rebaptisées “Pearls of Noblesse”. Le logo de sa société se retrouve sur le site de Thebestchefaward.

Le logo de World of Noblesse discret mais bien présent sur le site des Best Chef Awards.

« Le siège social se trouve à Aleja Pokoju 26, à Cracovie.

Le très glamour siège social de TBC Media Corp.

« Rien d’extraordinaire, mais si l’on gratte un peu plus, on voit que le nom de domaine Internet est enregistré par un certain Cristian Gadau. L’adresse est identique à celle d’un autre commerce : C & G Fashion.

C&G Fashion. On ne sait pas trop ce que ç’est, apparemment pas de la cuisine.

« Une des pages Facebook de l’événement fait mention d’un “chef Gadaus”. Comme par hasard, il semble y avoir un chef Gadau à Cracovie.

« Tripadvisor le mentionne au restaurant Il Vizio, qui est définitivement fermé. C’est injuste, car chef Gadau a une bonne opinion de lui-même : “D’un point de vue artistique, ma vision culinaire trouve une inspiration spontanée dans les tableaux abstraits de Kandinsky, la folie inimitable de Salvador Dalì et le mélange fou de couleurs de Leonid Afremov”, dit-il sur le site des Toques blanches du monde. [NDLR : sur son profil Crowdfunder, Cristian Gadau est aussi mentionné comme propriétaire à Cracovie du restaurant Al Dente, là encore définitivement fermé. Pas de pot…]

« C’est forcément un homonyme, non ? Un chef ne classerait tout de même pas ses confrères devant le public ? [NDLR : et sans la moindre indication sur la méthode employée, le nombre de jurés, etc.]

« Pas si sûr : sur sa page Facebook personnelle, “Cristian Gadau (Auto-Didact)” travaille chez TBC Media Group en tant que creative director pour The Best Chef. Sur le site Crowdfunder, on trouve Cristian Gadau, propriétaire et fondateur de The Best Chef : Project. My Dream. Network for Number 1 only, dit-il.

Cristian Gadau a 32 followers sur Crowdfunder et presque 11 000 likes sur Facebook pour la page The Best Chef Network/chefgadaus. Ce n’est pas rien, mais c’est loin, très loin de l’audience de quatre millions annoncée. »

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