Savez-vous quelle préparation est préparée avec les mêmes ingrédients de Bagdad à Montélimar, de Damas à Alicante, du Proche-Orient au Sud de l’Espagne et sur tout le pourtour méditerranéen ? … le Nougat ! qu’il soit turron, nougat, malban, blanc, noir, aux amandes ou aux pistaches, il a traversé les siècles sans jamais disparaître.
Retrouvez ci-dessous un article du quotidien La Croix pour tout savoir (ou presque) sur le nougat de Montélimar.
EXTRAITS –
Montélimar – Il faut être « né dans les vignes » pour s’aventurer à comparer nougat et vin. Fils de viticulteur du Vaucluse, tombé sur le tard dans le chaudron de nougat, Didier Honoré a le souci d’enraciner ses confiseries dans un terroir. « L’équilibre des miels est essentiel, insiste le quinquagénaire, qui porte un tablier noir de pâtissier. Ceux de la région bénéficient d’une grande variété de fleurs. Les lavandes quant à elles donnent un miel très pâle, légèrement acide », décrit le patron d’Arnaud-Soubeyran, société fondée en 1837, la plus vieille maison de nougat de Montélimar en activité.
Lui-même recueille méticuleusement ses nectars auprès des apiculteurs de la Drôme, de l’Ardèche et du Vaucluse. Sans assemblage, insiste le confiseur positionné haut de gamme, écoulant ses produits dans les épiceries fines ou les grands magasins parisiens. Quant à ses amandes, il les achète en France, en Espagne et en Sicile. « Elles développent un bel arôme naturel, inutile de les torréfier longtemps pour agir comme exhausteur de goût », indique-t-il.
Les treize nougatiers montiliens ne sont pas aussi à cheval sur le terroir. « Ne serait-ce que parce que la profession a besoin de 1 500 tonnes d’amandes par an, alors que la France n’en produit que 400 », indique François Roelens, directeur général de Chabert et Guillot, qui produit dans son usine flambant neuve plus de la moitié du nougat de la ville. Détenu par le géant allemand Südzucker, l’industriel importe comme beaucoup de ses confrères des sacs d’amandes de Californie.
C’est également le cas chez Suprem’Nougat, une maison travaillant à l’ancienne dans des chaudrons en cuivre, transmis de génération en génération. Alexandre a embauché à cinq heures, en ce matin d’été. « Nous devons nous adapter à la température et au taux d’humidité », indique le jeune homme, un œil sur le chaudron centenaire chauffé au bain-marie, où un bras mécanique malaxe la pâte composée de miel et de sirop de glucose.
Il lui a fallu un an d’apprentissage pour savoir quand précisément ajouter les sucres portés à ébullition, puis donner sa texture moelleuse et aérienne à la pâte, en incorporant des blancs d’œufs montés en neige issus d’albumine en poudre. Jusqu’alors couleur bonbon au miel, la pâte vire au blanc éclatant. Avant de couper le feu, le confiseur verse les amandes émondées et torréfiées, et une poignée de pistache vert vif.
Au bout de deux heures trente de cuisson, le nougat est prêt. On laisse cuire une demi-heure de plus pour obtenir un nougat dur. Le contenu du chaudron est alors transvasé entre les planches d’un moule tapissé de pain azyme. Puis on lamine la préparation avec un rouleau en fonte. Les blocs d’une vingtaine de kilos ainsi obtenus seront sciés en tranches ou en papillotes une fois refroidis, le lendemain.
Aujourd’hui tenue par la famille Savin, la maison Suprem’Nougat a été fondée en 1900. Soit deux siècles après la première mention de la spécialité, relevée en 1701 dans un document consignant le don par la cité d’un quintal de « nougat blanc » à des princes de passage. La friandise est alors fabriquée sur tout le pourtour méditerranéen, du Proche-Orient à l’Espagne, en passant par la Provence. Tout comme aujourd’hui. « Et cela avec les mêmes ingrédients, de Bagdad à Montélimar », indique Marie-Josèphe Moncorgé, historienne locale spécialisée dans la cuisine des anciens temps. « Du sucre ou du miel, des blancs d’œufs et des fruits secs. Pour l’essentiel, seules les proportions changent. »
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Trois cents salariés y fabriquent toujours 4 000 des 6 000 tonnes de nougat national. Environ la moitié est du nougat dit « de Montélimar ». La recette est précisée par un code d’usage validé par la Direction générale de la concurrence. Les matières sucrantes doivent être composées au minimum de 25 % de miel. Le produit final doit comporter au moins 28 % d’amandes entières émondées et 2 % de pistaches.
Problème, certains producteurs étrangers n’hésitent pas à s’affranchir de la recette, et élaborent un « nougat à la Montélimar », comme en a vu François Roelens dans les rayons d’une grande surface allemande. Sans qu’il ne puisse rien y faire. De tous les nougats européens, seul le turrón espagnol d’Agramunt et celui d’Alicante sont protégés par une IGP, tout comme le torrone italien de Bagnara. À Montélimar, une première démarche IGP avait échoué en 2006. Certains producteurs ne souhaitant pas se limiter aux miels de lavande retenus dans le cahier des charges étudié à l’époque. Un seul nougatier utilise exclusivement du miel de l’aromate, précise François Roelens. « Et de quoi parle-t-on ? Le miel de lavande maritime a un tout autre goût que celui de lavande provençale. Ça n’a pas de sens », ajoute Didier Honoré, qui préfère choisir lui-même ses ingrédients.
Déposé en décembre auprès du ministère de l’agriculture, le nouveau cahier des charges n’impose plus aucune provenance. L’objectif est surtout de « préserver l’image du nougat de Montélimar », indique François Roelens. Et cela « en restreignant sa production à l’agglomération montilienne », précise le président du syndicat des nougatiers, rassemblant douze des treize enseignes de la ville.
Toutes ont voté en faveur de la démarche IGP, avec plus ou moins de conviction. Réunis au sein d’un groupement d’intérêt économique, les confiseurs écoulent 200 tonnes par an de leurs produits sur l’aire d’autoroute. Ils espèrent renouveler la concession en fin d’année. Tout en la rebaptisant « Aire de Montélimar, territoire du nougat ». Dans le lot, les connaisseurs feront leur choix.