Mais avant cela, pour vous mettre en condition, c’est Fernandel qui pousse la chansonnette :
Écrire sur le Bouillon Chartier est un vrai défi, car tous les plus grands sont déjà passés par là dans leur jeunesse et même plus tard. Faut-il raconter ce qui n’a pas encore été dit ou dire à sa façon ce qui a déjà été raconté ? Le défi est à la hauteur de l’histoire du lieu. Pour ceux qui découvrent ici le Bouillon Chartier, nous n’allons pas refaire l’histoire de cette ancienne cantine d’ouvriers ouverte en 1896, aujourd’hui lieu privilégié d’une génération de touristes en mal de clichés : vous trouverez tout cela sur Wikipedia.
Allez-vous réussir à séduire la petite chatte ou le petit chaton en l’emmenant dîner chez Chartier ?
Parlons d’abord de ce restaurant qui affiche complet chaque jour de la semaine, sept jours sur sept. Les tables tournent, les clients défilent : oui, chez Chartier, ce sont les client qui défilent et non les serveurs. Un restaurant qui est plus qu’un restaurant — peut-être un théâtre, mais aussi un lieu de vie où l’on va avant tout pour l’ambiance et le cadre alors qu’autrefois, on y allait surtout pour ses prix très accessibles. Le mot d’ordre n’a d’ailleurs pas changé depuis l’ouverture : proposer « un repas digne de ce nom à un prix modeste ».
Dans cette institution, les clichés font vivre ; ils entretiennent le mythe à contre-courant des tendances actuelles. Ici pas de « naturalité », pas de local, pas de bio, on ouvre les bouteilles de vin entre les jambes et l’on fait sauter le bouchon. Tradition oblige… On sert de grands classiques non revisités, on outrepasse la préséance et on balance pratiquement les assiettes sur les tables. La commande et l’addition sont directement inscrites sur la nappe en papier : si vous êtes tentés de demander une facture, préparez-vous à repartir avec la nappe.
Le spectacle, d’ailleurs, commence devant le restaurant, et l’on comprend vite que les cuisiniers soient pris en otage : otages du prix, otages de la qualité, otages du lieu et de ses coutumes. Ici, pas d’orgasme gastronomique : foodistas, passez votre chemin ! Comme sous-entendu plus haut, on ne va pas au Bouillon Chartier pour bien manger. Les entrées commencent à 1€ pour une salade de carottes râpées vinaigrette et culminent à 12€ pour une douzaine d’escargots. Pour les plats, il vous faudra compter 6,5€ pour une saucisse-frites et 11,5€ pour un pavé de rumsteck sauce poivre. Pour finir sur une touche sucrée, comptez 3,5€…
En salle, par contre, c’est la fête. On s’affaire à casser les codes, mais c’est ce que le client demande. Touristes espérant découvrir la « vraie » France, celle des Français, la France d’antan, ou Parisiens en quête de non-sens gastronomique, tous s’accordent à dire qu’il faut vivre l’expérience au moins une fois dans sa vie.
Après le poids des mots, le choc des photos.
L’accueil est rapide et efficace. Le processus est bien rodé pour évider aux clients de bloquer le service : c’est à peine si l’on ne vous pousse pas à votre table si vous ne marchez pas assez vite. On nous apporte la carte. Jusque-là, tout va à peu près bien.
© F&S / Guillaume Erblang-Rotaru