À Aix-en-Provence, le chef étoilé Julien Le Goff rend un hommage gourmand au terroir local. Nous sommes allés voir.

Par Anastasia Chelini

Au restaurant étoilé Le Saint-Estève, table gastronomique de l’hôtel Les Lodges Sainte-Victoire, le spectacle commence dans la salle. Celle-ci, composée de vastes baies vitrées, offre une vue imprenable sur la montagne Sainte-Victoire, inspiratrice de Cézanne et point de repère bien-aimé de la région. Depuis la terrasse ou la salle, on contemple ce monde végétal, riche terroir auquel la cuisine du chef Julien Le Goff fait un écho éclairé. Un joli moment, rehaussé par une vue plongeante sur la canopée. 

Au Saint-Estève, la salle principale a l’intelligence de ménager aux visiteurs une vision ; celle de la Sainte-Victoire. Ce décor-là, forcément, envoûte ; donnant à voir la montagne millénaire, où couraient autrefois, disent les historiens et les fouilles, des dinosaures. Avec un tel environnement, le Saint-Estève ne pouvait que s’inspirer du terroir ; de fait, cette table élégante met les plats locaux à l’honneur, revisités à la sauce contemporaine. Sous la houlette du chef exécutif Julien Le Goff, la partition est gourmande, tout en fraîcheur et en équilibre. En cette fin de printemps, la langoustine rôtie et ses petits pois en entrée, servie avec girolles et gnocchis, entament joliment le bal. La bouillabaisse ensuite, servie avec un condiment de kumquat et pastis, a ce qu’il faut de twist pour la rendre à la fois connue et inédite. Puis l’agneau dans tous ses états arrive, qui fait son effet ; tandis que le vaste plateau de fromages nous emmène en voyage à travers la région. En dessert, la meringue croquante aux agrumes prône la fraîcheur. Le dessert au chocolat, s’il convainc moins, est suivi par des pâtes de fruits, signature appréciée de la région ; tandis qu’un cookie à emporter achève de réjouir les convives – idée efficace s’il en est, pour faire durer, après le départ, un peu de l’expérience vécue. Les clients, mix d’habitués et de vacanciers, semblent vivre un moment heureux. Nous aussi. 

Julien Le Goff

Le chef, lui, a gagné sa première étoile au Mas du Langoustier en 2013, sur l’île de Porquerolles. « Là-bas, je signais une cuisine centrée autour de l’univers marin. Puis j’ai rejoint le Saint-Estève en 2019, et ma cuisine a évolué – en fonction du lieu. Ici, ce sont la nature et la terre de la campagne aixoise qui m’ont plu et inspiré », raconte-t-il pour Food&Sens. Sa cuisine, étoilée toujours, il la veut lisible, « respectueuse du produit », avec des plats qui présentent « chacun leur fil conducteur » distinctif, et qui soient au plus près des saisons. Point d’alliances de goûts « improbables » dans ses assiettes, qui se veulent avant tout « gourmandes » et « sans extravagance » ; le but est ailleurs. Il est du côté des ragoûts, des associations d’herbes qu’inspire la Sainte-Victoire, du goûteux ; « je veux faire une cuisine où on revient dessus », conclut le chef. Son bras droit, Mathieu Vastel, était déjà présent au Saint-Estève lorsqu’il y est arrivé ; ils font la carte ensemble, Julien Le Goff trouvant, à juste titre, « intéressant de travailler en équipe ». Le résultat fait mouche auprès de la clientèle, aixoise notamment, qui vient régulièrement, et volontiers en famille. Et parce que les habitués sont nombreux, les menus « présentent toujours de nouveaux plats, en plus des classiques », pour qu’ils aient du choix. Voilà qui fait d’ailleurs « la force du Saint-Estève » ; le fait qu’on « sache s’adapter. C’est pour ça que les clients reviennent », analyse le chef, en effet particulièrement bien disposé à prendre en compte le vaste monde des restrictions alimentaires. « Bien sûr, c’est un défi, et ça n’est pas facile » de repenser, partiellement au moins, tel ou tel plat ; « mais ça fait plaisir de voir que les clients sont contents ; ils remarquent nos efforts. Et puis, ces restrictions, elles donnent aussi l’occasion aux jeunes d’apprendre à faire face à la difficulté ; ça les fait travailler sous la pression, ça les pousse à créer quelque chose d’autre sur le moment. Les idées de plats viennent aussi dans des circonstances comme celles-là… », conclut-il.     

Du côté des ingrédients, le Saint-Estève s’efforce de sourcer localement, et ce « le plus possible », détaille le chef. « On peut dire qu’on s’engage auprès de nos petits producteurs, puisqu’on attend qu’ils soient prêts à nous livrer tel ou tel produit avant de sortir une nouveauté à la carte ». De fait, « tout ce qui est légumes, fèves, petits pois, brousse, viennent d’ici ». La brousse vient de Meyreuil, sur la colline d’en face, où la fromagère Laurence Chaullier prépare aussi la glace de brousse, ici servie avec son coulis de betterave. D’autres fromages viennent de la boutique Bédarrides à Aix-en-Provence, et d’autres encore, d’Avignon. 

Table résolument locale, donc, le Saint-Estève prévoit d’ailleurs de sortir l’année prochaine un plat en hommage à Cézanne. Le peintre sera en effet au cœur de l’actualité aixoise en 2025, puisque devrait ouvrir l’année prochaine au public son ancienne demeure, la Bastide du Jas de Bouffan (où il a vécu 40 ans), ainsi que son fameux atelier, tous deux actuellement fermés pour rénovations. Dans l’intervalle, le Saint-Estève suit son cours, coulant des jours gourmands. Récemment, il a résolu de n’ouvrir que cinq jours par semaine, pour que le personnel ait un meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée. « Les propriétaires sont à l’écoute ; ils tiennent l’hôtel comme une maison familiale », conclut le chef. Et ça se sent. Ici, une forme d’harmonie a trouvé son séjour. 

LES LODGES SAINTE-VICTOIRE

Julien Le Goff

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