50Best –Décryptage du classement et réflexions une semaine après les Oscars de la gastronomie
Que signifie-t-il exactement être « le meilleur restaurant du monde » ? Et comment peut-on vraiment comparer des restaurants aux menus de dégustation complexes avec d’autres, par exemple, ne servant que de la viande grillée ? Pourquoi les chefs français semblent-ils avoir été exclus des classements mondiaux non-français tels que le 50 Best et le Best Chef Award ? Quels sont les sujets chauds de la gastronomie actuelle et quelle direction va-t-elle prendre ? Voici les questions que l’on se pose et les sujets dont on discute une semaine après les autoproclamés Oscars de la gastronomie. En attendant de connaître au cours des prochaines semaines, la ville hôte du classement 2022, décryptons le dernier 50Best.
Le secret pour être élu “meilleur restaurant du monde” c’est René Redzepi lui-même et son partenaire Peter Kreiner, PDG du Noma, qui l’ont dévoilé le soir même de la remise des prix, en annonçant qu’il faut « avancer, se développer, s’exprimer et trouver toujours une nouvelle voie« . Sans grande surprise, en effet, leur restaurant, qui avait déjà été sacrée quatre fois par le passé (en 2010, 2011, 2012 et 2014), s’est encore une fois classé premier, trois semaines après avoir décroché également une troisième étoile au guide Michelin. Réné Redzepi, depuis ses 26 ans n’a jamais arrêté d’avancer, quand il a ouvert le Noma (contraction des mots « nordisk », nordique, et «mad», nourriture) avec un petit cercle de personnes partageant ses mêmes idées, le Danemark n’était pas exactement un pays réputé pour son excellente cuisine.
Mais, petit à petit, malgré les réticences, le chef a commencé à écrire le manifeste de la nouvelle cuisine nordique et aujourd’hui, son Noma est une institution culinaire, ainsi qu’une école pour les jeunes chefs, un centre créatif et une force motrice pour la gastronomie mondiale. Quand la pandémie globale est arrivée, le chef Redzepi n’a pas défailli. Au contraire, il a été l’un des premiers à convertir sa table gastronomique, en ouvrant un restaurant éphémère dédié aux burgers lui permettant de faire travailler l’ensemble de son équipe, rentabiliser et retourner dans son labo pour travailler à un tout nouveau menu et rouvrir plus fort qu’avant. « Mais il y aussi 79 autres raisons qui expliquent le succès du Noma, elles portent toutes le nom de chaque membre de mon équipe. Pour eux, je dis que je veux être non seulement le meilleur restaurant du monde mais aussi le meilleur restaurant où l’on puisse travailler« , a déclaré le chef Redzepi, qui s’est présenté à Anvers avec une bonne partie de son équipe, dont Ali Sonko qui a commencé comme plongeur et qui est devenu par la suite associé du restaurant.
Mais avoir une bonne équipe et continuer d’avancer ne sont certainement pas les seuls moyens pour entrer dans le classement des meilleurs restaurants du monde, car si on regarde les 50 élus on comprend de suite que le dénominateur commun est l’excellence et l’unicité de l’expérience culinaire proposée. Avoir une identité bien précise et offrir aux convives un moment unique en son genre, – qu’il soit basé sur la perfection esthétique des plats (Narisawa), sur le spectacle proposé pendant le repas (Ultraviolet) ou sur le flair créatif du chef (DiverXo) – est l’ingrédient secret pour la réussite. C’est ainsi qu’à côté des plus célèbres restaurants trois étoiles Michelin comme Frantzén ou Mugaritz, on retrouve Asador Etxebarri (3ème), le temple du grill basque, A Casa do Porco au Brésil (17ème), spécialisé dans le cochon, ou encore le Burnt Ends de Singapour où tout ce qu’on mange passe sur les charbons ardents du chef Dave Pynt. Et si on veut aller encore plus loin, il faut penser que le tout nouveau restaurant de Gaggan Anand, où le chef propose des plats à lécher directement des mains au rythme de la musique des Foo Fighters, vient tout juste de se classer dans le Top10, à quelques mois de son ouverture, des 50 Best Asie.
Et ce n’est pas tout. Car en assistant aux talks proposés par l’organisations des 50 Best, on a aussi compris qu’il ne peu plus exister de succès dans le monde de la restauration sans une bonne réflexion autour de la durabilité, de la promotion du terroir, des rapports fornisseurs-restaurateurs, de l’inclusion sociale ou encore des conditions de travail des brigades de salle et cuisine.
Il semblerait donc que le gout et les codes classiques du Guide rouge ne représentent qu’une partie de ce qu’il se passe dans les restaurants du monde entier et c’est peut être pour cela que les restaurants français (dont le lien avec le Michelin est encore très fort) soient si peu représentés dans le classement d’origine anglaise. « La France compte autant de tables que d’autres pays » s’est défendu William Drew (directeur du contenu des 50 Best) quand on lui a reproché de bouder les restaurants de l’Hexagone. « Il faut regarder le classement depuis une perspective plus large. C’est normal qu’avec Le Mirazur qui est entré dans les Best of the Best et Alain Ducasse au Plaza Athénée qui vient tout juste de quitter le Palace, la France ait moins de restaurants classés par rapport aux années dernières » a t’il expliqué. Les fermetures prolongées imposées aux restaurants français ont également joué un rôle dans les jugement, c’est à prendre en compte. Le nombre élevé de grandes tables en France, bien supérieur à celui d’autres pays, ainsi que le nombre de jours d’ouverture effectifs en 2020, ont en effet beaucoup défavorisé les restaurateurs français (qui montent tout de même à 11 dans le Top100 si on considère aussi ceux qui sont installés à l’étranger).
Copenhague semble donc être la nouvelle capitale gastronomique du monde, puisque à coté du Noma, le Geranium de Rasmus Kofoed s’est classé deuxième, suivi à la 58ème place par l’Alchemist de Rasmus Munk et à la 89ème par Amass de Matt Orlando. Tout comme Lima au Pérou qui classe deux tables dans le top 10 – le Central de Virgilio Martinez et le Maido de Mitsuharu Tsumura – et deux autres (Kjolle et Astrid Y Gastón) dans le Top 100. L’Espagne, quant à elle, arrive en tête de la course avec six restaurants dans les 50, dont deux dans le top 10 (Asador Etxebarri et Disfrutar), et quatre dans le classement 51-100.
En espérant inverser la tendance l’année prochaine, voici les restaurants et chefs français qui se sont classés dans le Top 100 en 2021:
Odette – Singapour (Julien Royer) 8ème
Arpège – Paris (Alain Passard) 23ème
Septime – Paris (Bertrand Grébaut et Théo Pourriat) 24ème
Ultraviolet – Shanghai (Paul Pairet) 35ème
Pavillon Ledoyen – Paris (Yannick Alléno) 41ème
Le Bernardin – New Yok (Eric Ripert) 44ème
Atelier Crenn – San Francisco (Dominique Crenn) 48ème
Épicure au Bristol – Paris (Éric Frechon) 83ème
Le Clarence – Paris (Christophe Pelé) 84ème
David Toutain – Paris (David Toutain) 86ème
La Grenouillère – La Madelaine-sous-Montreuil (Alexandre Gauthier) 91ème
Par Lorena Lombardi
Crédits photos: The World’s 50 Best Restaurants