René Redzepi a cuisiné pour un soir à Paris au restaurant Yam’Tcha de la chef Adeline Grattard – récit d’une journée de la rockstar des fourneaux

 Sa venue est passée quelque peu inaperçue, il faut dire que le chef danois, longtemps classé Meilleur Chef du Monde pour le Fifty Best est rare sur le territoire français. Mais aussi que le chef René Redzepi est très sollicité, si vous le suivez sur les réseaux sociaux, vous pourrez constater qu’il est souvent en Amérique du Sud où il se passe des choses remarquables côté cuisine.

Sophie Brissaud explique dans son très bel article sur F&S pour » La petite cuillère, ( GRAND GELINAZ SHUFFLE : PAUL CARMICHAEL CHEZ INAKI ), sa soirée chef le chef inaki aizpirtarte, elle explique ce que c’est que cette série d’échanges de chefs dans le monde :  » Gelinaz ! est un projet culinaire international et un collectif de plus de cent dix chefs imaginé par Andrea Petrini. Je retiens de l’étymologie du terme un hommage à la géline de Touraine ; j’ai oublié le reste. Gelinaz ! se donne pour principes, entre autres : explorer l’inconnu, repousser les limites, découvrir de nouvelles cultures et échanger du savoir. Le Grand Gelinaz Shuffle, qui a lieu pour la deuxième année consécutive, envoie des chefs tout autour du monde comme des boules de billard. Cette année, quarante cuisiniers se sont « échangés » le temps d’un dîner spécial dans le restaurant d’un autre.

Du côté de René Redzepi il était au Yam’Tcha le restaurant branché version ASIAN de la chef Adeline Grattard, M Le Monde y a consacré lui aussi un beau reportage… Lisez ci-dessous.

EXTRAITS

René Redzepi, chef d’un soir à Paris Par Stéphane Davet

Cette deuxième semaine de novembre, à travers la fenêtre ouvrant sur les cuisines du yam’Tcha depuis la rue Saint-Honoré dans le 1er arrondissement parisien, les passants curieux ont vu s’affairer, au milieu de la jeune équipe de l’établissement étoilé, un barbu un peu trop vieux pour être un commis. Epluchant des noix, décortiquant d’énormes langoustines ou taillant des agrumes, le garçon était là incognito, mais les passionnés de gastronomie ont reconnu la rockstar des fourneaux, René Redzepi.

Manitou visionnaire de la nouvelle cuisine nordique, à la tête du Noma, table de Copenhague désignée à quatre reprises (en 2010, 2011, 2012 et 2014) « meilleur restaurant du monde » dans le classement (discuté) des « 50 best » publié par la revue anglaise Restaurant, le chef préparait ainsi un des dîners surprises du « Grand Gelinaz ! Shuffle ». Pour la seconde année, cet événement initié par le collectif de chefs Gelinaz permettait ainsi à quarante cuisiniers du monde entier d’échanger, par tirage au sort, leurs restaurants dans le but de servir un repas, le 10 novembre, à des clients ignorant jusqu’au dernier moment qui cuisinait pour eux.

Le hasard a, par exemple, envoyé la chef du yam’Tcha Adeline Grattard à Melbourne, au restaurant Attica, pendant que le Danois prêtait le Noma à l’Italien de Padoue Massimiliano Alajmo. Déjà participant de l’édition 2015, René Redzepi a d’abord refusé cette seconde invitation, préférant se consacrer aux derniers mois de son restaurant, avant une fermeture en février et l’ouverture, fin 2017, d’un nouveau Noma, conçu dans un ancien bunker entouré de serres et de potagers.

L’attrait du yam’Tcha et de ses savants mariages franco-chinois aura finalement eu raison des réticences de l’ancien disciple de Ferran Adria, qui, s’il applique au Noma un dogme exclusivement locavore, n’aime rien tant que de partir à la découverte d’autres identités culinaires. « Le monde de la cuisine ne doit jamais cesser d’échanger, insiste-t-il. On rentre toujours meilleur de ces voyages. »

Le 8 novembre, il a envoyé en éclaireurs deux membres de son département « recherche », Thomas Frebel et Mette Soberg. Après avoir essayé de cerner en amont l’essence du yam’Tcha, ils viennent se frotterà la réalité de son fonctionnement et aux produits de ses fournisseurs. Yoann Gregory, le directeur de la salle, les accompagne jusqu’à la rue du Nil, où est installé le marchand de fruits et légumes, poissonnerie et boucherie Terroirs d’avenir, fidèle complice de la chef bourguignonne du yam’Tcha, mariée à un Chinois (Chi Wah, expert des mariages mets-thés) ayant choisi de confronter ses expériences hongkongaises aux meilleurs produits français.

« Ici, on ne fait habituellement jamais d’essais, tout dépend du feeling de la chef. » Caroline Authenrieth, seconde d’Adeline Grattard, chef du yam’Tcha

Couteau à la main, papilles en alerte, Thomas Frebel et Mette Soberg plongent d’abord dans des natures mortes automnales. Mini navets juteux, choux et carottes multicolores, champignons et surtout l’incroyable variété d’agrumes (yuzu, sudachi, bergamote, citron caviar…) que font pousser à Eus (Pyrénées-Orientales) Michel et Bénédicte Bachès, les mettent sur de nouvelles pistes. De la ruelle la plus gourmande de Paris, les têtes chercheuses de Redzepi rapportent aussi des coquillages et du boudin basque.

Avant de faire leurs premiers tests, ils ouvrent les malles aux trésors qui les suivent depuis Copenhague. Un gros coffre isotherme renferme des crabes géants, pêchés sur les côtes norvégiennes. Un autre regorge de sachets remplis de mystérieux liquides et pâtes, passant du noir au mordoré. « Ce sont nos épices, les piliers de la cuisine du Noma », expliquera plus tard Redzepi, devant les huiles d’algue, de seigle ou de roses, l’eau de cèpes, les garums de bœuf, le caramel de saint-jacques, la pâte d’ail noir, le koji d’orge, et même des condiments de sauterelles et de fourmis (à l’acidulé citronné), fruits des expériences de ce laboratoire culinaire nordique, spécialiste des techniques de fermentation.

Comment marier ces ingrédients à l’esprit yam’Tcha ? Comment réinventer un parcours entre Scandinavie, trou des Halles et Grande Muraille ? Arrivé mercredi 9 novembre, René Redzepi passe sa première journée parisienne en mode brainstorming. Avant de mettre la main à la pâte, le lendemain, dès 7 heures du matin. Si le Noma privilégie la cuisson à la braise, les cuisines du yam’Tcha résonnent des flammes puissantes des woks et des bouillonnements de vapeur. Si Adeline Grattard se laisse souvent guider par sa spontanéité, un repas à Copenhague répond à une mécanique millimétrée, exigeant une mise en place très préparée des éléments à assembler dans chaque assiette.

« Ici, on ne fait habituellement jamais d’essais, tout dépend du feeling de la chef », observe Caroline Authenrieth, une des secondes de Grattard, étonnée par les réflexions préparatoires des Danois. Très décontracté pendant la mise en place, Redzepi se tend au moment des dégustations tests, au point de demander au personnel parisien de sortir des cuisines. « Nous avons besoin de nous concentrer, explique-t-il, deux des plats sont vraiment d’un trop faible niveau. » Le barbu reprend son duo en main, modifie les assiettes avec une justesse et un sens du détail démontrant que ce fils d’un chauffeur de taxi macédonien et d’une femme de ménage danoise n’est pas devenu pour rien une star mondiale de la gastronomie.

Vers 16 heures, la sommelière, Marine Delaporte, obtient enfin le menu de huit plats qu’elle se désespérait de récupérer pour réfléchir aux mariages mets-vins. Vouvray, vermentino, côtes du Roussillon, riesling allemand, mais aussi saké et liqueur de prunelle seront de la partie, pendant que Chi Wah affûte de son côté thés rouge, pu-erh et oolong. « Gardons à l’esprit la dimension expérimentale du repas. L’échec peut en faire partie, mais amusons-nous ! », recommande Redzepi lors d’un dernier débrief.

Les 33 couverts sont convoqués à 20 heures. Après avoir vérifié que la ponctualité n’est pas une vertu parisienne, le chef peut envoyer les premiers plats, en confiant le service, comme chez Noma, aux cuisiniers autant qu’au personnel de salle.

Si la surprise Redzepi a été éventée dans la journée sur les réseaux sociaux, les clients s’enchantent souvent de leurs assiettes. Qu’elles misent sur la vivacité, comme cette composition d’agrumes et poivre de Sichuan, adoucie par une huile d’algue kelp, ou sur la fraîcheur de coquillages et langoustines crues lissés d’une réduction de légumes, sur le luxe soyeux de la chair de « king crab » mariée à la truffe blanche ou sur la chaleur de ravioles grillées de shiitake dont la sauce épicée est à lier au coulant d’un jaune d’œuf affiné dans un jus de bœuf fermenté, étonnement et plaisir sont au rendez-vous.

 

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