Précis, durables et d’une finition élégante, les couteaux japonais sont à la mode depuis quelques années. Un succès qui s’est accéléré avec la crise sanitaire, au point qu’ils sont aujourd’hui défendus par de nombreux chefs étoilés.
Dans une petite ville japonaise autrefois réputée pour ses sabres de samouraïs, des artisans affûtent et polissent des couteaux de cuisine. Ils peinent cependant à répondre à la demande mondiale qui a explosé depuis la pandémie. Les exportations de ces outils japonais haut de gamme ont atteint un record de 12 milliards de yens en 2021 (environ 90 millions d’euros), soit deux fois plus qu’il y a vingt ans, selon les douanes nippones. Et ces exports ont bondi de 33 % par rapport à 2020 sur fond de boom de la cuisine à la maison avec la crise sanitaire.
Mais cela fait des années déjà que les lames nippones sont prisées par des professionnels de la gastronomie du monde entier pour leur précision, leur finition élégante et leur durabilité. Katsumi Sumikama, patron de la coutellerie Sumikama à Seki, près de Nagoya (centre du Japon), attribue ce succès à un «mariage entre la technologie et l’artisanat traditionnel».
Pour obtenir un tranchant exceptionnel permettant de réaliser parfaitement des sushis ou couper de fines lamelles de bœuf wagyu, son entreprise utilise des machines d’une précision d’un micron, soit un millième de millimètre, puis la finition est réalisée à la main.
Ça change la qualité de la cuisine! Mais même en fonctionnant à pleine capacité, «nous n’arrivons pas à répondre à la forte demande», confie-t-il. La réputation des lames de Seki remonte au XIVe siècle. La propreté des rivières et les matières premières environnantes «étaient idéales pour forger des sabres» d’un fer de grande qualité issu d’un sable ferrugineux, rappelle le chef d’entreprise. Cette activité a périclité avec la disparition des samouraïs à la fin du XIXe siècle. Mais après la Seconde Guerre mondiale, Seki a commencé à produire des couteaux de poche destinés à l’exportation.
Ce commerce a d’abord décollé, mais la crise a de nouveau frappé dans les années 1970, notamment avec l’apparition d’une concurrence chinoise à des prix imbattables. Les artisans de Seki se sont alors tournés vers les couteaux haut de gamme. À l’époque, des marques allemandes comme Zwilling dominaient ce segment de marché, et les produits japonais de luxe étaient rares.
L’entreprise Sumikama s’est lancée alors dans les années 1990 dans la production de couteaux pouvant coûter l’équivalent de plusieurs centaines d’euros chacun. Pour souligner son style «made in Japan», la société a ajouté sur ses lames un effet visuel ondulatoire évoquant l’aspect des «katanas» (sabres traditionnels) et un caractère japonais (kanji) comme logo.
Un entretien régulier – Mais au départ, le scepticisme face à cette montée en gamme était important. «Nous étions coincés dans l’idée» que des couteaux japonais «ne seraient pas acceptés par les consommateurs à moins d’être moins chers que des produits allemands», raconte ainsi Katsumi Sumikama. La stratégie a toutefois payé : son entreprise réalise désormais des ventes dans plus de 50 pays. Le chef français Olivier Oddos est un adepte des couteaux de cuisine japonais depuis plus de vingt ans. Leur réputation a «fait vraiment le tour du monde», estime-t-il lors d’un entretien accordé dans son restaurant Chez Olivier à Tokyo.
«Je connais beaucoup de chefs français qui sont venus au Japon, à chaque fois ils achètent des couteaux japonais. Ils en achètent même des fois pour toute leur équipe!», raconte-t-il. «Ça coupe parfaitement, ça coupe droit, c’est régulier», vante-t-il, estimant que des taillages aussi précis, «ça change la qualité de la cuisine!». L’inconvénient, toutefois, des couteaux japonais, selon Olivier Oddos, est qu’il faut «les entretenir régulièrement» en les affûtant avec une pierre. Mais si c’est le cas, «ils ont une durée de vie assez exceptionnelle».
Dans la rue Kappabashi à Tokyo, célèbre pour ses boutiques d’ustensiles de cuisine, le commerçant Daisuke Kumazawa confirme que les couteaux nippons ont gagné en popularité à l’étranger depuis une décennie. Il y voit un lien direct avec l’engouement mondial pour la cuisine japonaise. Son magasin centenaire, Kama-Asa, a même ouvert une succursale à Paris en 2018, et le succès est au rendez-vous dans les deux boutiques, selon Katsumi Kumazawa. Il veut que ses clients conçoivent les couteaux japonais comme bien plus qu’un simple ustensile de cuisine. «Nous voulons qu’ils sachent pourquoi ils sont bons – l’esprit du couteau, l’idée de l’artisan qui l’a fabriqué.»
Source – Le Quotidien