EXTRAITS
Claire Dorland Clauzel, directrice du guide Michelin, revient sur la décision de Sébastien Bras de ne plus apparaître dans l’édition 2018 du Guide rouge.
Sébastien Bras a annoncé « rendre » ses 3 étoiles et ne souhaite pas apparaître dans l’édition 2018 du Guide rouge. Claire Dorland Clauzel, directrice du guide Michelin, nous répond.
Comment avez-vous appris la décision de Sébastien Bras de « rendre ses étoiles »?
Les Bras nous ont prévenus par lettre en amont pour nous expliquer leur démarche. C’est une décision familiale, personnelle, un changement de vie. On ne peut qu’en prendre acte. Et il a été très aimable envers nous et nous a remerciés. On respecte son choix. Maintenant, le guide Michelin est fait pour les lecteurs, pas pour les chefs. On a notre rôle de critique gastronomique, notre liberté d’expression et notre indépendance. Notre fonction est de signaler les bonnes tables aux gens qui voyagent. Du coup, l’expression « rendre ses étoiles » est un peu particulière. Ce n’est pas comme cela que ça fonctionne.
Vous pouvez choisir de les lui laisser?
On ne va pas prendre de décision tout de suite, car le guide 2018 est encore en cours d’élaboration, même si la majorité des essais de tables a eu lieu. Les décisions, en réunions collégiales, seront prises en novembre. Il ne faut rien faire en vitesse. On va voir, car c’est une première. Jusqu’à présent, on avait eu des cas de chefs qui nous prévenaient de leur départ, d’un changement de formule ou de la fermeture de leur établissement. Mais aucun n’a jamais demandé à ne pas être dans un futur guide Michelin.
Aucun? On pense quand même à Alain Senderens ou Olivier Roellinger…
Ces chefs nous ont signifié un changement de formule ou de vie, mais jamais qu’ils ne voulaient plus apparaître dans le guide. Effectivement, la plupart du temps, les chefs nous préviennent en amont d’un grand changement. Ce qui est très bien. Mais ce n’est pas la même histoire qu’avec Sébastien Bras.
Comment percevez-vous cette décision?
Les Bras sont des chefs qui ont marqué la gastronomie française. Pour moi, c’est comme un artiste ou un sportif qui annonce son départ de la scène. Sauf que là, il va continuer quand même. Et c’est son droit! Je comprends très bien qu’on ait envie de vivre différemment. On n’a pas à juger ça, et ce serait idiot d’ailleurs.
On parle souvent de la pression des étoiles pour les chefs, qu’en est-il pour vous?
La pression, c’est l’excellence qui la donne. Et ce, dans toute forme de compétition, que l’on soit sportif ou artiste. Je pense que les danseurs étoiles de l’Opéra de Paris ont cette même pression d’être les meilleurs. L’excellence réclame beaucoup de travail, de rigueur et une attention de tous les instants. On le reconnaît et cela fait partie de toute l’admiration qu’on porte aux chefs. Beaucoup d’entre-eux nous disent aussi que le Michelin, avec sa rigueur et son professionnalisme, les amène à l’excellence. Chacun est différent et tout cela est hautement respectable. Ainsi, Yannick Alléno a répété que, pour lui, le Michelin a un effet motivant.
On ne peut pas oublier non plus le cas Bernard Loiseau…
Bernard Loiseau avait été confirmé à 3 étoiles quinze jours avant son geste dramatique. Il savait qu’il gardait ses étoiles. On ne peut jamais bien expliquer ces gestes… Son épouse a toujours dit que son suicide n’était pas lié aux étoiles. Il faut essayer d’être objectif autant que possible sur ces affaires-là, très complexes. Le métier de chef est profondément humain. C’est un métier de contact, de passion, d’attention de tous les instants. Je comprends que la pression de l’excellence pèse. Être au top niveau toute sa vie, ce n’est pas facile.
Chaque année, la sortie du guide France est un événement. Comment l’expliquez-vous?
Notre rôle n’est pas d’être dans la lumière, même si on y est régulièrement… Les inspecteurs sont anonymes.
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L’étoile Michelin est-elle toujours un rêve pour les chefs?
…/… Or il ne faut pas cuisiner pour le guide, mais pour ses clients. Finalement, les inspecteurs du Michelin ne sont que des clients exigeants.