Donc il s’appelle Jaïs, il affiche une belle mine de bistrot tout frais, spacieux, lumineux, bien astiqué : salle d’un seul tenant, largement ouverte sur l’extérieur en été. Il succède en ce lieu au Petit Thiou et à un restaurant espagnol. Le chef aussi s’appelle Jaïs, Jaïs Mimoun, comme James s’appelle Bond, et son frère Yanice dirige la salle, dont il a fait la déco.
Jaïs (le chef) possède un CV gravé à l’or fin : apprentissage chez Rodolphe Paquin au Repaire de Cartouche, quatre ans chez Éric Frechon au Bristol, un passage au Petit Tonneau (tout près) avant d’officier au Petit Célestin, sur les quais, entre Pont-Marie et Sully-Morland. Et last but not least, la maman des frères Mimoun est aux fourneaux du Tagine, rue de Crussol, depuis une trentaine d’années. L’énumération des cuisines par lesquelles un chef est passé est toujours instructive, et en découvrant le parcours de Jaïs Mimoun, on comprend qu’il n’est pas près de nous servir des poudres de ceci, des bulles de cela ni des écumes d’autre chose. Foin du déstructuré, longue vie au structuré. Au français, à la cuisine bourgeoise, au classique, aux jus et au mijoté, au solide, au sérieux.
Au sérieux, mais pas au vieux croûton ni au morose. C’est une cuisine classique et actuelle. Il règne dans ce restaurant une ambiance simple et douce, et une devise semble flotter en lettres de lumière : travail. On sent ici le travail de cuisinier dans ce qu’il a d’intemporel et d’heureux. La cuisine semi-ouverte a été conçue comme un petit aquarium où l’on officie dans le plus grand calme. Pas d’éclats de voix, pas d’aboiements (si vous voulez du bruit et de la fureur, rendez-vous plutôt Chez l’Ami Jean, c’est à cinq minutes. Il y a de tout dans ce quartier, c’est sa grande vertu.) Règne ici une concentration studieuse et gourmande. Une cuisine civilisée. Ce que je prends d’abord pour le passe est en réalité une petite « table de chef » à deux couverts, à essayer une autre fois.
Notre déjeuner est accompagné d’un patrimonio carco 2012 rouge d’Antoine Arena ; tant qu’à se régaler de bons classiques français, autant les arroser d’une valeur sûre. Et des valeurs sûres, il y en a, sur cette carte des vins bien roulée, à prix raisonnables, organisée autour du plaisir.
Mon tartare de quasi de veau aux anchois, jaune d’œuf confit est une friandise fraîche et onctueuse. L’attention au produit est remarquable ; la délicatesse apportée à la préparation l’est aussi. Dès à présent, je sais que j’ai affaire à un cuisinier qui sait « laisser parler le produit », chose que beaucoup prétendent faire mais ne réussissent pas toujours.
Les girolles de mon compagnon de table étaient excellentes, coiffées de leur œuf poché soigneusement ébarbé.
Nous avons tous deux pris les ris d’agneau à la poudre de fenouil, jus crémé, petits pois à la française. Pas besoin de loupe, de face-à-main, de monocle ou de pied à coulisse pour confirmer que ces petits pois sont réellement à la française. Et quel bonheur que les petits pois à la française ! Vous aviez oublié ? Non ? Tendres et sucrés, nullement farineux, bien entremêlés de leurs petits lardons et de leur émincé de laitue, ils sont tels que ma grand-mère les aurait faits si elle avait su faire les petits pois à la française. Et les ris d’agneau ? Me demanderez-vous. Moelleux, tendres, croustillants, cuits avec talent. Le jus crémé léger mais sapide les relève juste ce qu’il faut.
Je n’ai plus très faim pour un dessert, mais la science avant tout. La fin du repas se profile et la maison n’a toujours pas commencé à couper les cheveux en quatre : plateau de fromages affinés, tarte aux framboises, tarte au citron meringuée, omelette norvégienne… Va pour la tarte au citron meringuée.
Vlan ! La proue du Titanic descend sur la table. Cette part est pachydermique, intimidante. Même avec deux cuillères, va-t-on en venir à bout ? C’est compter sans la main légère de Jaïs. Cette énorme tarte est aérienne, une pincée de duvet citronné. Même la pâte est légère, ce qui est rare en restauration. Elle passe, il faut le dire, comme une lettre à la poste.
Oui, je tenais beaucoup à vous parler de ce restaurant avant septembre, car il mérite d’être un restaurant de rentrée, d’hiver, de saison travailleuse — une base solide, une superbe adresse qui monte en puissance. Un lieu où l’on n’aura aucune hésitation à se mettre entre les mains du chef : on sait que tout se passera bien et que l’on goûtera même à des saveurs, des textures et des plaisirs dont la néobistronomie parisienne, un peu trop occupée à assembler les ingrédients trois par trois sur les assiettes, nous gratifie de plus en plus rarement. Enfin des vrais plats ! Des mets qui ont un nom ! Tarte au citron meringuée ! Omelette norvégienne ! Raie grenobloise ! Palourdes marinières ! Et, cerise sur le sundae : on a trouvé un vrai cuisinier.
Jaïs – 3, rue Surcouf, Paris VIIe. Tél. 01 45 51 98 16. Métro Invalides, Latour-Maubourg. Carte environ 50 €, menu de midi (entrée + plat ou plat + dessert) 27 €. Ouvert tous les jours de 12 heures à 14 h 30 et de 19 heures à 22 h 30.
À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud