La cuisine inspirée d’Éric Jambon

Bien avant de devenir chef, le Lyonnais Éric Jambon aimait faire à manger pour ses amis. Ceux-ci lui firent plus d’une fois observer qu’avec un tel talent culinaire, il pourrait ouvrir un restaurant, mais leur chef occasionnel travaillait dans l’informatique et ne songeait pas à changer de métier. Un jour, les hasards de l’existence le mirent en présence de Paul Bocuse, à qui il proposa de réaliser des CD-Rom pour envoyer les vœux de fin d’année de la maison. Un peu plus tard, Éric fit une requête à Bocuse. « Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » demanda Paul. « Je voudrais travailler quelque temps en cuisine. — Mais c’est quand tu veux ! » répondit le chef. Éric croyait n’y entrer que pour quelques stages : il n’en est plus jamais ressorti.

Stéphanie et Éric Jambon. Crédit photo © Cherrystone.

Voilà onze ans qu’il a repris le Domaine des Séquoias, superbe propriété à Bourgoin-Jallieu (Isère), ville qui semble être un écosystème propice à la bonne chère, car elle a vu naître Guy Savoy (qui vient régulièrement manger chez Éric Jambon avec sa maman) et Frédéric Dard, dont on sait qu’il avait un bon coup de fourchette et levait bien le coude. En fait de séquoias, j’ai surtout vu de grands et magnifiques cèdres du Liban dans le parc. Mais un bébé séquoia vient d’être planté au domaine.

C’est un lieu beau et paisible, idéal pour quelques jours de repos et de bonne table. Parfait aussi pour les dîners en amoureux. Un hôtel de charme avec parc, piscine, grande étendue herbue où le regard se repose. Tout y est prévu pour vous faire oublier le moindre stress.

Le restaurant est installé dans une grande maison bourgeoise dotée d’un porche et d’une terrasse ; elle abrite quelques chambres. Dans l’annexe d’un beau style dauphinois sont aménagées les autres chambres.

L’annexe.

Mais c’est surtout pour découvrir la cuisine que je suis venue. Une cuisine très singulière, une inspiration d’une grande liberté qui prend la clé des champs tout en se reposant sur la forte armature classique d’une formation chez Monsieur Paul. Si vous décidez de vous rendre au Domaine des Séquoias — et je ne pourrais que vous donner raison —, sachez que vous avez affaire à la catégorie « il a une étoile Michelin, pourquoi il n’en a pas deux ? » et même « pourquoi il n’en a pas trois ? » Mais il y a trois choses qu’on ne refait jamais : sa jeunesse, l’histoire et les étoiles Michelin. On n’y peut rien, on n’y comprend pas toujours grand-chose ; mieux vaut cesser de se torturer le ciboulot et se réjouir de l’expérience présente.

Le restaurant est abondamment décoré d’œuvres de l’artiste lyonnais Nicolas Perrot, ami de la maison.

Rouget brûlé, fleur de courgette farcie aux champignons, ziminu. Ci-dessous la version Hipstamatic (quand j’hésite, je ne choisis pas.)

Se réjouir, voilà le mot. Fondée sur des produits locaux exceptionnels, la cuisine d’Éric est une cuisine de réjouissance. Avec autant d’intelligence que d’instinct, e chef interroge chaque produit, le questionne, l’étudie et le restitue dans une mise en scène qui déplace toujours un petit peu son centre de gravité pour réaliser les accords sur l’assiette, mais il ne le pousse jamais dans ses retranchements. C’est une leçon d’harmonie bien particulière, une empreinte de chef très personnelle. Derrière l’apprêt d’une cuisine gastronomique se jouent des saveurs, des textures et des arômes qui expriment une grande liberté. Chaque assiette est comme une histoire, une nouvelle, un petit film. Mais tout est naturel, rien n’est forcé. 

Thon, rose, balsamique de Modène.

Cette cuisine se repose sur une grande diversité d’ingrédients et de goûts : on serait tenté de dire que sa palette est plus large que la moyenne. Chaque plat est une surprise, mieux : contient plusieurs surprises qui n’entraînent aucun déséquilibre. De la belle ouvrage.

C’est aussi une cuisine qui exprime beaucoup de tendresse, or la tendresse est une qualité assez rare en cuisine, surtout gastronomique. « On a dit à Éric, me dit Stéphanie, qu’il faisait une cuisine féminine. » Jugement galvaudé, superficiel. Simplement parce que c’est une cuisine tendre et aimante, elle ne pourrait être que féminine. Pour ma part je n’ai aucune idée de ce qu’est une cuisine féminine ou masculine, mais j’apprécie cette note élégiaque pour elle-même.

Week-end à Barcelone : seiche cuite quatre heures, jambon de bellota Cinco Jotas, encre de seiche, riz grillé.

La règle du jeu — car il y en a une — est de se laisser porter. Trois suites numérotées 7, 9 et 11 (c’est le nombre de plats), menus dégustation avec ou sans accords mets-vins, sont proposés sans dévoiler leur contenu.

Un mot sur le vin : le sommelier suit le courant, répondant à l’originalité culinaire du chef par une sélection très fine des flacons. Le choix est souvent audacieux, toujours admirable. Je note un talent particulier pour les vins blancs, et je rends grâce pour la délicieuse découverte du pouilly-sur-Loire, cent pour cent chasselas. 

Le pain — une délicieuse petite boule au levain et aux graines de lin — est fait par le chef lui-même. C’est, dit-il, une tâche qu’il aurait du mal à déléguer, tant elle le passionne

La salade à l’huître sans huître est un entremêlement d’herbes hétéroclites, un clash de saveurs éblouissant : acidité, amertume, croquant, herbacé sont réunis. Dans le rôle de l’huître, la Mertensia maritima (feuille d’huître), avec laquelle batifolent chicorée, pousses de pois, feuille de cristal (une sorte de gros pourpier très acidulé), carotte pourpre, sucrine, endive et petites fleurs en pâte filo.

Et ceci est la poule aux œufs d’or. Un jaune d’œuf cuit à 65 °C pendant une heure et demie, une crème de volaille et une mouillette végétale aux noix râpées.

Veau cuit au charbon, burrata, tomate green zebra, carotte pourpre, épinard, échalotes, jus au baies de sureau. Étonnant, frais, poétique et très représentatif de l’inspiration du chef.

Saumon fumé roulé aux algues, étonnant de fermeté et de pureté de goût

Un plat d’une finesse extrême, bourré de saveur et d’émtion : saint-pierre, caviar, caviar d’aubergine

Non moins fin, ce homard sauce chartreuse, fenouil à cru.

L’agneau dans son pré : polenta, cresson alénois.

Assortiment de fromages : chèvre (le triangle), ossau-iraty (le rectangle), bleu de Bonneval (en haut).

C’est un lieu à découvrir, alliant les charmes du repos à la française dans un environnement vert et boisé et les agréments d’une superbe cuisine gastronomique qui ne ressemble à aucune autre et mériterait d’être mieux connue.

Domaine des Séquoias – 54, vie de Boussieu, 38300 Ruy (Bourgoin-Jallieu). Tél. : 04 74 93 78 00. Ouvert du mardi soir au dimanche midi inclus. Menus : Suite n° 7 : 70€, 110€ avec accords mets-vins. Suite n° 9 : 90€, 140€ avec accords mets-vins. Suite n° 11 : 130€, 190€ avec accords mets-vins. Menus Petit Gastronome 40€ (jusqu’à dix ans), Tout-Petits 20€.

À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

Publication connexe