Chinese Food Week à Paris : le vrai goût de la Chine

La fin du mois de mai et le début du mois de juin 2016 resteront marqués, à Paris, par deux événements considérables : une crue de la Seine historique (et surtout inhabituelle pour la saison) et la troisième édition de la Chinese Food Week. Des deux, il y en a une plus sympa que l’autre, devinez laquelle.

Nouilles de haricots mung en sauce pimentée au restaurant La Chine sur la Langue.

Organisée à chaque printemps par un groupe de jeunes Chinois de Paris à la pêche d’enfer (comme le dit joliment Grace, co-organisatrice de l’événement, « une bande de jeunes qui n’ont que la passion du goût de leur enfance »), la Chinese Food Week a pour objectif de promouvoir les cultures et les traditions de Chine à travers sa cuisine. Pour cela, on choisit sept restaurants pour la qualité et l’authenticité de leurs mets (donc pas de « Restaurant chinois et thaïlandais — phó à toute heure », si vous avez bien compris le principe), et le public est invité à les découvrir. Il doit pour cela s’inscrire sur le site aux dîners qui l’intéressent, sous réserve de places disponibles, car les restaurants sont pris d’assaut. J’en sais quelque chose, m’étant cette année réveillée un peu tard et n’ayant pu prendre part qu’à deux de ces dîners. Peu importe, à chaque fois l’expérience était de haut niveau.

Précédée le jeudi 2 juin par un cocktail de lancement au Centre culturel de Chine, cette semaine festive a commencé le lundi aux Trois Royaumes (48, rue Richer, cuisine du Sichuan), s’est poursuivie le mardi à La Chine sur la Langue (163, rue Saint-Denis, cuisine du Sichuan avec un peu de Dongbei), le mercredi à L’Orient d’Or (22, rue de Trévise, cuisine du Hunan), le jeudi à La Cuisine de Chez Moi (14, rue Richer, cuisine de Tianjin, dans le Nord), le vendredi à Di Choulie (11, rue Primatice, Chine du Nord, spécialité de raviolis), le samedi à Ying et Yang (8, rue Aristide-Bruant, cuisine de Chine septentrionale fondée sur les anciens principes médicinaux), et s’est terminée dimanche soir à Muqam (36, rue de Trévise, cuisine ouighoure du Xinjiang).

J’insiste : il faut rendre hommage à la passion et à la gentillesse des jeunes organisateurs de cette semaine gourmande et échevelée, tout en chaleur, en bonne humeur et… en incendies de palais. Oui, parce que ça pique et ça chauffe. Vous remarquerez l’absence de cuisine cantonaise au programme cette année, et la prédominance de cuisine du Sichuan et des provinces du Nord. Il se trouve que la cuisine cantonaise, à Paris, est généralement réalisée par la diaspora chinoise du Sud-Est asiatique, présente depuis des générations dans la capitale, et qu’elle n’y revêt pas le caractère de nouveauté des traditions culinaires continentales apportées par la dernière génération de Chinois de Paris, plutôt issue de l’Est, du Nord, du Centre, du Sud-Ouest et même de l’Ouest. Ensuite, le Sichuan et sa cuisine hautement relevée sont à la mode, et les fourneaux de cette Chinese Food Week étaient souvent tenus par d’authentiques Sichuanais ou Hunanais. Ce qui veut dire huile rouge pimentée, piments secs, piments frais et piments fermentés, poivre du Sichuan, saveurs chaudes et fermentées. Oui, tout ça.

Culture du piment dans le Xinjiang (photo ©Bing Australia).

LUNDI SOIR : LES TROIS ROYAUMES

Il fait chaud ce soir et on n’a pas fini de transpirer : on prend place pour un festin du Sichuan. Je me souviens des paroles de mon cher ami A Dai, restaurateur de Hangzhou et promoteur des saveurs fines et douces de sa province natale. « Pourquoi y a-t-il tant de restaurants sichuanais, disait-il, dont les cuisiniers ne viennent pas du Sichuan ? C’est parce que, quand on ne sait pas très bien cuisiner, il est plus facile d’attirer le public avec des plats très épicés à base de produits de qualité moyenne qu’avec une cuisine subtile, raffinée, qui demande une plus grande expertise. » Je lui avais alors répondu que le même phénomène existait en Occident. Mais là, on va entendre une tout autre chanson : notre tout jeune chef est originaire de Chendgu, si j’ai bien compris, et c’est du vrai de vrai. Dans une cuisine sichuanaise réussie, la puissance des épices ne doit pas servir à masquer la réelle qualité de la cuisine. Celle-ci, aussi doit avoir sa finesse, sa douceur, son moelleux, ses nuances de saveurs. Nous n’allons pas tarder à en avoir la confirmation.

Le jeune patron, derrière son comptoir, surveille l’installation des clients. Sur le bar, plusieurs bouteilles de Moutai, le célèbre alcool de sorgho fabriqué dans la province de Guizhou. Moutai est en effet le grand sponsor de la Chinese Food Week, et on peut lui en être reconnaissant, car ses minuscules gorgées d’eau-de-feu arroseront en permanence ces sept dîners chinois.

Le Moutai (ici servi à La Chine sur la Langue) est un alcool surprenant. La première gorgée déroute : l’attaque est en coup de sabre, avec un éclair blanc et ce léger relent de pourriture qui caractérise beaucoup de spiritueux chinois. Puis une explosion douce, ronde et complexe se produit en bouche, irradiant vers le nez un léger arôme de caramel et de canne à sucre. La finale se déploie, ample, apaisée, longue et réconfortante. On y prendrait goût, à ce truc. J’ajoute que ça calme les quintes de toux, que ça aide à digérer l’huile parfois copieuse des plats chinois et que, soyons honnête, c’est bon. En plus, le design de la bouteille est splendide et ce service en mini-pichet dans des verres de poupée n’est pas un moindre attrait.

Je viens de parler d’attaque. Voici la suivante. Comment ça, ce ne sont que des champignons noirs ? Ce sont des champignons noirs venus de l’enfer, en salade, imprégnés d’un piment qui vous taille les oreilles en pointe. On en croque un ou deux avec mille précautions, pour s’apercevoir assez vite que les dégâts sont moins importants qu’on ne l’avait prévu. Voyez-vous, il y a deux sortes de piment : les francs du collier et les fourbes. Les premiers vous arrachent la gueule dès la première bouchée mais vous vous y habituez vite, la catastrophe n’ira pas plus loin. Quant aux fourbes : au début, vous vous apercevez à peine qu’ils brûlent. Et de bouchée en bouchée, le piquant progresse sourdement, sournoisement, en slow burn, jusqu’à ce que vous vous retrouviez la bouche en feu et qu’il soit trop tard pour y faire quoi que ce soit. Grâce à Dieu, nous sommes ici en présence de la première catégorie.

Délicieux sauté de haricots verts et d’aubergines. Rien à dire, c’est parfait, et ça éteint le feu des champignons. Les Chinois et les légumes, c’est vraiment une sacrée histoire d’amour.

La spécialité maison ne déçoit pas : poisson entier grillé sur les braises, puis mijoté dans une sauce à l’huile de piment et aux légumes sur un lit de nouilles de tofu et de racines de lotus. Plat magnifique, savoureux, riche, croustillant, légèrement fumé, épicé juste comme il faut, que nous dévorons jusqu’au dernier petit morceau.

Ce qui n’est pas une raison pour bouder cet excellent bœuf tendre sur plaque, assaisonné de pâte de soja fermentée, de pommes de terre frites trempées dans l’huile pimentée et de piments séchés. Vous les voyez, les piments ?

Enfin, pas question d’oublier le délicieux riz blanc vapeur additionné de grains de riz noir.

 

MARDI SOIR : LA CHINE SUR LA LANGUE

Ce petit restaurant sur deux étages, dans la partie de la rue Saint-Denis où l’on trouve encore des sex-shops (non que j’y tienne particulièrement mais il en faut pour tout le monde), se consacre aussi à la cuisine du Sichuan tout en mettant sensiblement la pédale douce sur le piment. Les deux patronnes viennent respectivement de Wenzhou et de Chongqing. Si j’osais, je dirais que c’est la rencontre de l’Est et de l’Ouest. À chacun des dîners auxquel j’assiste, je retrouve des amis. Ici, Patrick Cadour, auteur du blog Cuisine de la Mer, et Grace, auteur du blog La Petite Banane et co-organisatrice de cette Chinese Food Week.

Le premier plat : des nouilles de gélatine de haricot mung, translucides et rafraîchissantes, baignant dans cette huile rouge pimentée dont on ne se lasse pas.

Vous noterez en passant la couleur magnifique de cette huile et les effets de joaillerie qu’elle peut susciter au soleil couchant, surtout si l’or d’une assiette en carton se met de la partie.

Sans les carottes, ce serait un plat tout à fait couleur panda. Blague dans le coin, c’est tout simple, mais c’est fabuleux. Aucun de ces ingrédients n’a de « goût » au sens où nous l’entendons. J’en entends même dans le coin qui ricanent : « Ouh, ouh, c’est fade, c’est comme du tofu ! » Je leur claque le bec en leur rappelant qu’en Chine, la texture fait partie du goût et que des centaines de textures gustatives sont répertoriées. Et quand le croquant doux et gluant de ces tranches d’igname crues rencontre le croquant tout différent de ces champignons noirs — souple, élastique, presque d’une algue —, c’est toute la science culinaire de la Chine qui s’exprime.
(Ah oui, et par ailleurs, le tofu n’est pas fade.)

Ça s’appelle un plat de résistance : un beau jarret de porc dongpo, cuit longuement avec sucre, sauce de soja et cinq-épices jusqu’à ce que la couenne soit aussi tendre et fragile qu’un pétale de rose. Fondant, long en bouche, moelleux et exécuté dans les règles : le gras est parfaitement maîtrisé.

Le poulet kongpao (sauté à la sauce aigre-douce avec cacahuètes et petits cubes de concombre) est bon aussi, mais ce n’est pas le plat le plus impressionnant du repas.

Pour finir, un très joli plat d’aubergines et de pommes de terre sautées fondantes en sauce yuxiang. Yuxiang veut dire « sauce du poisson », non pas sauce au poisson, mais la sauce dont on accommode ordinairement le poisson. C’est un peu comme les boulets sauce lapin, si vous vous souvenez de ce détail, mais à la place des boulets qui viennent à la place du lapin, vous avez des aubergines, et à la place du poisson… Non, je recommence. À la place du lapin… des frites… Non. Zut. La sauce yuxiang, c’est comme la sauce lapin, elle veut dire poisson mais il n’y a pas de poisson. Comme dans la sauce lapin il n’y a pas de lapin. Mais on en accommode le lapin comme la sauce yuxiang accommode le poisson, sauf quand on remplace le poisson par des aubergines. J’y arrive presque. La sauce yuxiang est donc au poisson ce que la sauce lapin est au lapin, et avec les aubergines, c’est vachement bon, tout comme la sauce lapin, avec les boulets, c’est aussi vachement bon. Voilà, c’est dit.

L’année prochaine, Parisiens, tenez-vous prêts pour la Chinese Food Week, mais pas trop prêts quand même, parce que cette fois je veux m’inscrire au plus grand nombre de dîners possible. Remerciements à Grace, à Élodie Ye, au panda maître Bao et à l’équipe de Chine-info.com.

À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud
(sauf indication contraire)

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