Ouverture de la Cave de Colchide à Paris

Le 14 juin 2018, la Cave de Colchide ouvrait ses portes. Ça ne vous dit peut-être rien à vous, mais moi, j’attendais ça depuis un moment. Depuis que j’avais fait, entre amis, un dîner délicieux à Colchide, le restaurant géorgien de la rue des Poissonniers, je savais que les propriétaires des lieux, Datchi et Eka Tchaganava, avaient l’intention d’ouvrir une petite épicerie-cave à proximité.

Je croyais le projet enterré, mais il y a quelques semaines, mon amie Ana Cheishvili, archéologue, m’a invitée à l’inauguration, enfin, de cette cave de « bons vivants géorgiens », comme il est écrit sous l’enseigne.

Je me permettrai tout d’abord une petite critique juste formelle : « bon vivant géorgien », c’est un pléonasme. La bonne vie, en Géorgie, c’est mieux qu’un concept, c’est une seconde nature. La Géorgie est un pays fascinant où l’on aime la vie, mieux : où l’on cultive la vie. On l’entretient, on la célèbre par des principes terriens, humains, simples et millénaires : le vin, la bonne cuisine, l’amitié, la tradition, la nature, le vin, le vin, et encore le vin. Un pays où l’on parcourt des kilomètres dans la campagne pour trouver une vigne vieille de quatre cents ans enroulée autour du tronc d’un arbre et qu’il faut vendanger sur une échelle. Un pays où les banquets s’appellent supra, et chaque convive doit y prononcer un discours après avoir bu le contenu d’une grande corne de vin. Où il existe plus de cinq cents cépages autochtones.

Skin Contact, d’Alice Feiring, aux éditions Nouriturfu, traduit par votre Petite Cuillère.

Un pays, en un mot, où le vin est né, il y a huit mille ans, et où il est encore fabriqué comme à l’origine, de la façon la plus naturelle possible, dans de grandes jarres enterrées appelées qvevri. Un pays, enfin, dont je rêve depuis que j’ai traduit, en 2016, le récit d’Alice Feiring For The Love of Wine, consacré à son expérience de la Géorgie et de ses vins. Traduction publié par les éditions Nouriturfu sous le titre Skin Contact. Un livre que je vous recommande, et pas seulement parce que ça me donne une chance de toucher des droits d’auteur.

Ana Cheishvili et Datchi Tchagavana, propriétaire de la Cave Colchide et du Restaurant Colchide.

L’absence de Cave de Colchide à Paris, décidément, était une lacune. On trouve tout à Paris, théoriquement, mais il n’y avait pas de cave de vins géorgiens. Or, une fois qu’on a goûté un vrai vin de qvevri, on n’a qu’une envie, c’est d’en reboire. Ce sont des vins, dit Alice Feiring, « dotés d’une structure en couches ». Je reprends une de ses descriptions : « Les Géorgiens font du vin rouge et du vin blanc, mais le pays est surtout connu pour ses blancs, dont la robe est plutôt ambrée. Certains les appellent « vins orange ». Cette couleur provient du fait qu’on vinifie ces vins blancs comme des vins rouges, avec macération pelliculaire, c’est-à-dire en contact avec les peaux des raisins. Ce type de macération donne non seulement une couleur plus soutenue mais aussi une texture plus dense. Beaucoup de vins géorgiens sont tanniques, offrant une sensation comparable à celle du tannin d’une tasse de thé vert. Souvent, le palais éprouve une explosion sensorielle d’eaux florales et de miel dépourvue de sensation sucrée ; il peut y trouver des notes exotiques, épicées, de myrrhe et d’encens, évoquant l’intérieur d’une église, et souvent une touche juteuse et fruitée en milieu de bouche. Les rouges sont tout sauf stéréotypés, de l’ample et puissant au délicat et léger. En bouche, ils évoquent le désert ou la montagne. »

Eaux florales et miel, avec une très jolie sensation fraîche de raisin pur, c’est en effet ce que je trouve dans ce premier verre de vin orange des Voleurs de vin, un assemblage de rkatsiteli et de mtsvane, deux cépages blancs dont l’élevage en qvevri développe les arômes élégants et complexes.

Le blanc de Papari Valley, à côté, est plus sec et moins exubérant, mais d’une grande fraîcheur. Sur la planche, des churchkela, friandises typiquement géorgiennes à base de moût de raisin réduit à une forme d’une gelée épaisse fourrée de noix ou de noisettes.

À Colchide, on a le sens du symbole : la grenade, fruit national, sert de décor de table.

Lorsque le khachapuri (pain fourré au fromage) bien chaud apparaît sur la table, il n’y reste pas longtemps. Un autre lui succède très vite.

Vous trouverez donc dans cette petite cave quelques tables pour vous installer et vous régaler, un bel assortiment de vins géorgiens, faits en qvevri ou en barrique, et un peu d’épicerie : ce soir, il y avait des bouteilles de limonade aux fruits et quelques flacons de tkemali, ce condiment géorgien à base de prunes acides. J’ai demandé à Datchi s’il comptait développer le côté épicerie, mais il m’a répondu qu’il envisageait plutôt de développer la cave. Comment pourrait-on lui en vouloir ? Je souhaite donc longue vie à la Cave de Colchide et je vous invite à la découvrir. Et si vous avez encore faim, allez vous faire plaisir au restaurant du même nom, qui n’est qu’à quelques pas. Ah, une chose encore : il est écrit, sur la carte de visite, Dites gaumarjos ! Gaumarjos, « à votre victoire ! », est une formule de toast et de célébration. Avouez que ça a autrement plus de gueule que tchin-tchin.

La Cave de Colchide – 87, rue des Poissonniers, Paris XVIIIe. Tél. : 01 73 71 01 60.

À la petite cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

 

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