Les faits, rien que les faits, ce sera plus simple.
Botanique, Paris onzième. Dès l’approche, on sait que ce restaurant a du style et de l’élégance. Ouvert en octobre 2015 dans une relative discrétion : zéro Fooding (que l’on a connu plus précipité), peu de presse, quelques mentions sur la Toile, mais aucun de ces orchestres bavarois qui accompagnent certaines ouvertures bien connectées. Et pourtant, il y aurait eu largement de quoi. Botanique est un lieu splendide, construit sur deux niveaux : bistrot au rez de chaussée, gastro au premier, fascinante cave au sous-sol, visible à travers un vitrage (comme à L’Arnsbourg).
Botanique ne ressemble à aucun autre restaurant. Botanique a déjà une âme. On n’est certes pas en présence d’une de ces petites adresses plus ou moins interchangeables où s’engouffrent blogueurs, guides en ligne et critiques dès les premiers jours, quitte à ce que la montagne accouche d’une souris. Botanique, au contraire, est un restaurant qui en jette, qui inspire le respect. C’est du sérieux — mais pas de l’austère.
Botanique repose sur deux fortes bases : la cuisine solide et fine du chef Sugio Yamaguchi, la cave impressionnante du sommelier Alexandre Philippe. Sugio, originaire de Tokyo, est passé par les cuisines d’Édouard Loubet, Nicolas Le Bec, Georges Blanc et Pierre Sang Boyer. « Je veux me démarquer », dit-il. Et il le fait en proposant une cuisine française gourmande qui fait murmurer l’estomac à la seule lecture de la carte : cromesquis de cabillaud, mayonnaise aux herbes. Bisque d’écrevisses, pommes de terre écrasées. Parmentier d’agneau aux épices. Céleri-rave en rémoulade. Rognons de lapin à la moutarde. Potage Saint-Germain, mousse de lait au lard fumé. Vol-au-vent, ragoût d’écrevisses et champignons, truffes noires. Clairement, Sugio a compris que pour ne rien faire comme tout le monde, il faut être en avance sur son temps. Oser le classique est encore le meilleur moyen d’y arriver.
La cave contient une telle multitude de références qu’il n’y a pas de carte des vins ; il faut négocier l’affaire avec Alexandre, qui peut aussi vous proposer une bière du Mont-Salève, un nectar brassé avec l’eau pure des Alpes — je la recommande, surtout la blanche, amère, fine et fraîche, fortement houblonnée avec des arômes de mangue. Alexandre aime faire partager ses passions : il ne propose que peu de bières (deux brasseries : celle du Mont-Salève et une bière bourguignonne), mais elles sont exceptionnelles. De vraies bières de sommelier, d’amateur de vins.
Le quatre-mains, à présent. La veille, au festival Omnivore Paris, Mika et Xavier Pensec, chefs du restaurant-sushiya Hinoki à Brest, faisaient leur démo de sushis à base de produits marins bretons, mettant l’eau à la bouche à plus d’un, charmant le public par leur passion, leur humilité, leur talent et leur gentillesse. Sébastien Demorand, à gauche sur la photo, ne peut retenir sa tendresse. Et parce que Xavier et Mika travaillent ensemble, le quatre-mains du lendemain soir était un six-mains. Xavier découpe les poissons, comprime le riz, trempe son pinceau dans le nikiri — l’assaisonnement. Mika prépare d’exquises compositions culinaires servies en début et en fin repas. J’espère pouvoir bientôt consacrer une Petite Cuillère à Hinoki, mais pour l’heure ils sont à Botanique, où ils ont composé avec Sugio un menu dégustation.
Ce menu est accompagné d’accords de sakés, que l’on peut combiner avec des accords vins. Les choses étant déjà assez complexes comme ça, nous optons pour le tout-saké. Ceux-ci sont proposés en alternance par Matthieu Okabé, de L’Atelier du saké, et Kei Miyagawa, de la Galerie K (Paris).
Les sushis de Xavier sont vivants : un poisson n’est jamais constant. Il a ses saisons, ses temps d’affinage, ses humeurs, ses bons moments et ses fichus quarts d’heure. On ne retrouve jamais une espèce telle qu’on l’a goûtée la dernière fois. Xavier scrute, examine, écoute le poisson à travers toutes ses transformations. Barbue, nageoire de barbue, daurade royale, gamba rouge de Méditerranée, ventre de thon rouge, rouget barbet fumé au foin, poulpe et seiche. Il assortit ces trésors marins — parfois légèrement grillés au chalumeau — d’un riz à la juste température, maîtrisé, exactement assaisonné.
En bas à gauche, deux sushis végétaux de Sugio : shiitaké en barigoule et daikon mariné au dashi. C’est très bon, surtout le daikon.
Un gunkan de homard et un ormeau cuit au dashi terminent la série de sushis marins. L’ormeau est tendre, délicat, remarquable de simplicité.
Sugio : nigiri de pigeonneau d’Anjou à l’ail des ours, nigiri de canard à l’orange. Le pigeonneau est parfait, le canard aussi, mais le goût d’orange est un peu trop marqué. L’interaction de ces gibiers rouges à plume avec le riz ne va pas de soi. Les viandes n’en sont pas moins somptueuses.
Bœuf black angus cuit fondant aux épices douces, rouleau de riz. Le bœuf est excellent, la présence du rouleau de riz pas indispensable.
Ça, c’est l’ovni, le truc qui fait réfléchir à tout le reste. Mika a confectionné un rouleau de nori fourré d’aneth frais. Surprenant, frais et croquant, un peu sévère, une minuscule bouchée qui se mâche longuement et sert à nettoyer le palais. Elle appelle ça « sushi digeste ».
Une petite gemme inattendue vient éclipser le riz au lait au caramel de saké, pourtant sympathique : un kumquat poché fourré d’un sorbet à la poire. Minature piquante et savoureuse, un petit coup de génie qui termine le repas en fraîcheur.
Botanique – 71, rue de la Folie-Méricourt, Paris XIe. Tél. 01 47 00 27 80. Métro Oberkampf, Parmentier, République. Ouvert du mardi au samedi de 12 h 15 à 14 h 30 et de 19 h 30 à 22 h 30. Au déjeuner et au dîner, au rez de chaussée : service bistro, tapas et petits plats à partir de 6€ et jusqu’à 32€. Formule déjeuner 19 et 24€. Au dîner seulement, menu dégustation à l’étage, 5 temps : 58€. Préciser à la réservation à quel étage vous souhaitez être assis.
Hinoki – 6, rue des 11-Martyrs, 29200 Brest. Tél. 06 64 21 68 46 (réserver au moins 24 heures à l’avance). Ouvert seulement le soir, du mardi au samedi. Menu sushi 58€, sashimi 68€, omakase (au gré du chef) 85€.
– À la petite cuillère –
Textes et photos : Sophie Brissaud
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