Fatéma Hal, ambassadrice de la cuisine marocaine ancestrale, se confie à Food&Sens

23 janvier 2018  2  Chefs & Actualités
 

signature-food-and-sens Fatéma Hal, ambassadrice de la cuisine marocaine ancestrale, se confie à Food&Sens

Figure de proue de la cuisine marocaine traditionnelle, la chef Fatéma Hal revient pour Food&Sens sur son incroyable carrière, émaillée de prix, de livres et d’émissions culinaires. Celle qui a écrit 14 livres de cuisine et un récit, et que le Times Magazine a qualifié de « chef réconciliateur », nous parle de la place des femmes dans la cuisine, de sa vision du Maroc culinaire actuel, et de la nécessaire transmission d’un patrimoine culinaire unique. Une rencontre sans fard, comme on les aime.

C’est dans son restaurant parisien que je rencontre Fatéma Hal. Élégante comme à son habitude, elle arrive auréolée de sa bonhomie coutumière, tandis qu’elle traverse l’une des salles du Mansouria, où je l’attends. Il est vingt heures, nous sommes un mardi soir, et pourtant le restaurant est déjà plein. De toute évidence, il officie de longue date comme un phare immuable dans le quartier, pourtant noyé sous la pluie ce soir-là. En fond de salle, dans le salon marocain, une famille fête un anniversaire, dans une ambiance festive sans nuage. Trois soirs de suite déjà que cette famille revient, conquise par les lieux. Fatéma Hal sourit ; « ce restaurant est devenu une institution. »

Posée, elle prend place, me parle de ses projets. Son premier roman, pour commencer, qui a déjà trouvé un éditeur. « Il s’agit d’une histoire d’amour, celle que j’aurais voulu vivre », confie-t-elle simplement. « L’intrigue est celle d’un voyage initiatique, doublée d’une dimension historique ; j’entraîne le lecteur sur la route des épices, dans un récit original et atypique. » La date de sortie du livre, prévue pour octobre/novembre, se rapproche déjà. 

Autre projet pour 2018, culinaire cette fois, l’ouverture d’une école de cuisine au Resort Es Saadi à Marrakech, là où se tient son second restaurant, gastronomique celui-là : la Cour des Lions. C’est là que je l’ai rencontrée la première fois, dans le lobby cossu de cet hôtel de luxe marrakchi, en marge d’une interview. « L’ambition de cette école sera de faire découvrir la cuisine marocaine aux hôtes du resort », me détaille-t-elle. Un projet qui s’inscrit dans le cadre d’une belle collaboration, tissée au fil des ans, avec la famille Bauchet-Bouhlal, propriétaire du resort. « La Cour des Lions, c’est l’une de mes plus belles aventures culinaires. De fait, au Es Saadi, je ne fais pas seulement du consulting ; j’y forme des jeunes talents à l’art de la cuisine marocaine ancestrale. Et ça, c’est une vraie satisfaction. »

Justement, la préservation du patrimoine culinaire marocain, c’est le cheval de bataille de Fatéma Hal, le fer de lance de sa rhétorique culinaire. « Au Maroc, il manque des écoles hôtelières. Si la jeune scène culinaire marocaine bouge beaucoup, et est riche en talents, il y a un manque au niveau de l’enseignement de la cuisine du pays. Nos jeunes chefs brillent surtout dans la cuisine française, un genre dans lequel ils excellent. En revanche, la cuisine marocaine est peu transmise… D’où le fait qu’il y ait urgence à créer des écoles au Royaume, où les techniques et la richesse de la cuisine marocaine seront transmises. C’est un patrimoine à préserver. Nous avons le devoir de consigner cet art. »

Comme en écho à cette alerte, arrivent à notre table une dizaine d’entrées marocaines. Un monde sans cette cuisine, ce serait un triste monde, me dis-je en moi-même, tandis que je fais un sort fatal au zaalouk, à la salade de carottes au cumin, ou encore à la purée de fèves, onctueuse et dense à la fois. Au Mansouria en tout cas, les clients sont convaincus du caractère exquis de cette cuisine, affluant en nombre. « J’ai reçu le tout Paris ici », confie Fatéma Hal. « Trois générations s’y sont succédés, depuis 33 ans que le restaurant est ouvert. Il y a eu des signatures de livres ; des mariages (dont celui d’un prince) ; le couscous de la paix en 2011 avec Sampé… Jamel Debbouze est venu, l’écrivain Tahar Ben Jelloun aussi, Francis Coppola, Claude Lelouche, François Mitterrand… J’ai fait la pastilla pour Yves Saint Laurent, pour des ministres, et pour les anonymes que je traite avec autant d’égards. » Et c’est vrai. Affable avec tous, elle se lève plusieurs fois au cours du dîner, pour saluer chaleureusement ses clients, s’assurer qu’ils sont contents. « Le Mansouria est un restaurant familial, brassé ; j’en suis fière. C’est un lieu de vie, où les souvenirs se construisent. »

Rien d’étonnant, de fait, à ce que le Mansouria soit le point d’ancrage de Fatéma Hal. Ce lieu où elle a bâti, patiemment, sa réputation, jusqu’à obtenir en 2016 le Prix François Rabelais, récompense absolue reçue notamment par le Prince Charles, qui est décernée par la Fondation Européenne pour le Patrimoine Alimentaire. « Ce prix, c’est une reconnaissance à l’échelle européenne de 33 années de travail. Il est venu adouber mes efforts dans la tentative de faire du Mansouria un lieu de retrouvailles, un symbole du lien qui unit la France et le Maroc. Au final, c’est plus qu’une cuisine qui a été récompensée par ce prix ; c’est aussi une histoire de l’alimentation, un rôle non anodin de transmission et de partage. »

Comme si, au Mansouria, on avait réussi à s’extraire du sempiternel et indépassable paradigme de savoir si « c’est bon ». Ça l’est, évidemment. Mais pas seulement. On y vient aussi pour découvrir une histoire, une civilisation, un pays. Un pan gastronomique qui me parle, à moi qui ai vécu 3 ans au Maroc, de la beauté envoûtante de ce pays solaire, de la variété éblouie de sa cuisine populaire, des femmes qui préparent au creux des riads et maisonnées, le rassemblement nourricier journalier de la famille. Ce monde-là, je le retrouve au Mansouria, où figure par extension la chaleur des rues estivales du Maroc, et la couleur particulière des palmiers marrakchis, et la rumeur d’un monde culinaire parfumé à ne jamais oublier, dans ce restaurant où le luxe n’existe pas, car seule la convivialité y fait office d’ornement, et où les plats servis nous parlent de souvenirs culinaires immuables.

Le tajine à l’agneau et pruneaux arrive sur ces entrefaites, dans un frémissement d’épices. La chair du pruneau est exquise, fondante comme une promesse. Mario, le chef de salle, est d’une gentillesse rare. Il explique à sa patronne que demain, il préparera chez lui un coq au vin. Depuis tant d’années qu’il travaille ici, les deux ont tissé une relation d’estime voisine de l’amitié. Ils échangent sur la recette à suivre. Mario s’éclipse. Fatéma poursuit sa réflexion. « Vous savez, je suis consciente d’être désormais dans la phase de transmission ; l’heure du spectacle et des grandes démonstrations, c’est fini. Dorénavant, je suis à fond dans le patrimoine culinaire. »

À l’heure du dessert – une pastilla à tomber, d’une légèreté aérienne, et des cornes de gazelles arrosées de thé à la menthe–, nous évoquons un ultime sujet : celui de la place des femmes dans la scène culinaire mondiale. Un thème qui lui tient à cœur, elle qui fut jadis conseillère technique au ministère des Droits de la Femme sous Mitterrand. « Il n’y a qu’une seule femme chef qui ait 3 étoiles », regrette-t-elle à juste titre. Puis d’analyser : « pour que les choses changent, il faut commencer par donner aux femmes les mêmes salaires et les mêmes droits que ceux accordés aux chefs hommes. Il faut aussi changer le regard qu’on pose sur les femmes dès les écoles hôtelières. Du côté des clients, les mentalités aussi doivent évoluer. Bannissons l’habitude de demander, dans un restaurant, à voir le chef, ou le patron. Ce peut très bien être une femme qui soit la chef et/ou la patronne ! »

C’est à minuit passé que la grande dame prend congé. La pluie dehors continue de tomber avec rage. L’équipe fidèle au poste salue le départ de sa patronne, avec une affection certaine. « Et oui, mon staff est devenu comme une famille », me glisse-t-elle en bord de rue. « Vous savez, je ne saurais pas travailler autrement. » La cuisine du lien, décidément…

Par Anastasia Chelini
Copyright – A Chelini

Le Mansouria : http://www.mansouria.fr/

La Cour des Lions : https://www.essaadi.com/restaurants-marrakech/tables-palace/cour-lions

Vidéo Fatéma Hal : https://www.youtube.com/watch?v=le03UdUjkVE

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2 réflexions sur « Fatéma Hal, ambassadrice de la cuisine marocaine ancestrale, se confie à Food&Sens »

  1. Christine

    Un dépassement, cet article!
    On se sent déja à table à côté de la mythique chef Fatema Hal, comme si on y était, et on s’attend à vivre un grand bonheur gustatif!

    Répondre

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