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Le vrai steak-frites parisien

17 février 2017  1  À la petite cuillère
 

signature-food-and-sensLe problème, avec la course à la nouveauté qui caractérise les chroniques de restaurant depuis l’apparition des blogs et des réseaux sociaux, c’est qu’on n’est pas régulièrement informé de la consistance d’un lieu. On se jette d’un bond et comme un seul homme sur la nouvelle adresse, et tout le monde va en parler pendant x temps, mais au-delà de cette période de grâce, on ne sait pas trop ce qui se passe, à moins d’y retourner. Si plus personne n’écrit sur eux, on a tendance à oublier de très bons établissements qui maintiennent le cap. On s’étonne même parfois qu’ils existent encore. Si l’on y retourne, on constate que c’est aussi bon qu’avant, voire meilleur. Dans le tourbillon constant des ouvertures récentes, il y a parfois des soufflés qui retombent, mais une fois l’excitation médiatique passée, les bons restaurants continuent à exister par la fidélisation de leur clientèle. Porte ouverte enfoncée ? Peut-être, mais s’il arrive qu’une adresse adulée pendant trois semaines tourne au pétard mouillé, il y a aussi le cas du restaurant qui continue de bien faire son petit bonhomme de chemin alors qu’on n’en entend plus parler. C’est le cas de beaucoup de très bons restos parisiens, alors puis-je me permettre un conseil ? Changez souvent d’adresse, faites beaucoup d’heureux de vous revoir, n’allez pas toujours manger au même endroit.   

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L’addition au Relais de Venise ne vous mettra pas sur la paille, même si vous essayez très fort.

Et puis il y a les institutions, celles dont on parle encore moins, mais où l’on va. On collera à l’actualité un autre jour.

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C’est probablement le seul restaurant parisien à avoir trois enseignes — enfin, deux enseignes et demie. De bas en haut : « Le Restaurant de l’Entrecôte » ; « Le Relais de Venise » (et juste au-dessous) « Son entrecôte ». S’il s’agit de faire comprendre qu’on y mange de l’entrecôte, c’est assez efficace. En réalité, ce martèlement sert à affirmer que la vraie « Entrecôte » est ici (depuis 1959) et pas ailleurs. Le Relais de Venise a fait des petits à Londres, à New York et à Mexico, mais les quelques Relais de l’Entrecôte rue Marbeuf, rue Saint-Benoît et à Montparnasse (et à Dubaï) ne sont que des copies de l’original. On y mange à peu près la même chose (en un peu moins bien). Ils sont le résultat d’une scission familiale, une partie du clan étant allée entrecôte-friter ailleurs, ayant bien pris soin d’emporter sous le bras et la formule et la sauce secrète.

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Le décor est inchangé depuis l’origine : l’intérieur fleure bon la fin des années 50, l’ambiance Gilles Grangier, les petits abat-jour à gondoles, quelques peintures murales arborent un décor plus ou moins vénitien ; toujours les mêmes nappes en papier, serviettes jaunes, vitres biseautées et serveuses en robe noire et tablier blanc.

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Et, comme, depuis toujours, il n’y a pas moyen de réserver, une file d’attente impressionnante se masse dès midi sur le trottoir boulevard Pereire. Si vous vous pointez entre 14 heures et 14 h 30, vous évitez la cohue. Mais c’est un peu dommage : la queue du Relais de Venise ne ressemble à aucune autre. Costards-cravates, quatuors de copains burinés par les intempéries, proxénètes locaux et leurs dames, flics en civil, papys et mamies qui ont envie d’un steak, jeunes couples viandards, papa-maman-la bonne-et moi, mafieux russes et touristes américains étonnés s’y cognent, s’y serrent et s’y entremêlent de façon pittoresque et très parisienne. S’il y a un type humain qu’on n’y voit jamais, mais alors jamais, c’est le hipster barbu qui fait semblant d’être foodie parce que c’est tendance ou le végé new-age qui veut manger clean sous son bonnet de laine. Pensez-y à l’occasion, ça peut vous changer.

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L’offre culinaire est tout aussi inchangée. Depuis les premiers temps, ça commence par la petite assiette de salade verte aux noix. On conviendra que ce n’est pas l’étape la plus sexy du repas. La salade est un peu fatiguée, les noix concassées aussi. Mais ça fait partie de l’institution ; on la respecte. L’hyperacidité du vinaigre nous perce les maxillaires, mais si un jour le lieu, par malheur, n’existait plus, cette salade, toujours si régulièrement pas bonne, nous manquerait.

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On entre dans le vif du sujet : le steak-frites. Paris commence à avoir pas mal de steak-houses et de restaurants où l’on se consacre au bœuf avec talent. On pourra y commander une côte à l’os, un filet, un châteaubriand, un pavé de rumsteak, un onglet. Avec des frites. Mais une côte de bœuf avec des frites, ce n’est pas un steak-frites. Un onglet-frites n’est pas non plus un steak-frites. Le steak-frites est un plat bien particulier, parisien dans son essence. Le steak-frites se met à exister quand le steak, les frites et la sauce forment un plat homogène dont le tout est plus que la somme de ses parties : c’est de la cuisine. Si vous voulez du bœuf, allez au Severo, à Charbon Rouge, au Grand Pan, à la Maison de l’Aubrac, etc. Si vous voulez un steak-frites, allez au Relais de Venise.

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Le plat unique — strictement unique — n’a pas varié non plus. Depuis longtemps l’affaire est rodée ; la noix d’entrecôte est toujours d’une tendreté parfaite. La cuisson est demandée à la commande, et vous pouvez abandonner toute anxiété : saignant veut dire saignant, bleu veut dire bleu, à point veut dire à point. Les steaks sont apportés sur des plateaux en inox et posés sur des réchauds. Comme l’assiette arrive brûlante, la viande recuit un peu : il faut le savoir.

Je vous rappelle brièvement le protocole : on vous sert deux fois. Une première fois le steak (découpé en lanières), la sauce et les frites, excellentes pommes allumettes fines et croustillantes. Quand vous avez fini, on vous sert du rab : steak, frites et sauce. Il n’y a pas de second rab, mais à ce stade vous êtes calé. Le rab de frites, soit dit en passant, et depuis la cantine, cela fait partie des choses qui nous empêchent de désespérer totalement de la vie.

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Tous ces services et resservices, tous ces rabs, ces sauces et resauces, ça fait du passage et de la chorégraphie. Les serveuses volent à travers les deux allées de la salle (et la minuscule salle à l’étage) comme des hirondelles, déversant sur les assiettes les frites attendues.

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La sauce, ah cette sauce, elle en a fait couler, de l’encre. Sa recette est jalousement gardée, véritable chartreuse du monde bistrotier. Je ne sais pas quel moyen de coercition est exercé pour fermer le bec des employés et même des ex-employés, mais à ma connaissance personne n’a jamais vendu la mèche. Certains parlent d’inspiration genevoise et de sauce café de Paris, mais ce n’est pas tout à fait ça. D’autres ont extrapolé des recettes tout aussi fantaisistes qu’inexactes. Jean-Claude Ribaut a affirmé avoir percé le secret de cette sauce et en a donné une recette. Je l’ai tentée et ce n’est toujours pas ça (ça l’est d’autant moins qu’il ne donne aucune proportion, et que le résultat se révèle bien grumeleux et bien pâlichon comparé à la vraie sauce, verte et onctueuse). J’ai trouvé ailleurs quelque chose de beaucoup plus convaincant (il y a manifestement beaucoup d’herbes dans cette sauce). Voici mes seules certitudes : il y a du beurre, beaucoup de beurre (qui se sépare des autres ingrédients à la chaleur des réchauds), un arôme de thym, une touche d’estragon, de l’anchois, un épaississant non farineux qui est peut-être du foie de volaille, peut-être pas ; et c’est très bon.

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Un mot sur les desserts, qui ne sont pas l’élément principal du restaurant, mais on a toujours mis un point d’honneur à les faire spectaculaires. C’est aussi une tradition locale. Ma question « Est-ce que le vacherin est toujours haut comme ça ? » est purement rhétorique. En fait, je n’ai plus faim. J’ai commandé le vacherin uniquement pour savoir si, réellement, il était toujours haut comme ça. Il l’est. Mais est-ce moi qui ai changé, ou est-ce lui qui est plus sucré qu’avant, avec une sauce chocolat un peu trop sirupeuse, je ne sais. Ce n’est pas ça qui m’empêchera de revenir au Relais de Venise pour y trouver toujours exactement la même chose. Ça s’appelle un classique.

Le Relais de Venise – L’Entrecôte – 271, boulevard Pereire, Paris XVIIe. Tél. 01 45 74 27 97 (inutile puisqu’on ne réserve pas). On prend les commandes de midi à 14 h 30 et de 19 heures à 23 h 45, et on ouvre 7 jours sur 7. Le combo steak-frites-sauce est à 27€. Un peu de vin (carte très courte à prix modique) et un dessert (entre 6 et 8 €) feront grimper la note mais jamais très haut.

À la Petite Cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

 

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Une réflexion sur « Le vrai steak-frites parisien »

  1. DURAND

    A Toulouse, l’institution des institutions c’est L’ENRECOTE sur le bd Strasbourg. Depuis plus de 50 ans, je crois que c’est un frère qui est descendu de la capitale. La sauce est fabriquée dans un labo secret et personne ne connaît la recette. 800 cts jour et tous les toulousains depuis 3 générations y vont et y reviennent. La plus grande réussite de la restauration qui fait rêver les professionnels en terme de simplicité et de rentabilité. Chapeau bas et respect. Et vive la queue devant la porte, cela fait partie de l’histoire. Et tant pis pour les grincheux et pisse froid.

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