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La Liste, les réticences françaises et votre iPad

12 décembre 2016  2  À la petite cuillère
 

signature-food-and-sensLe 5 décembre 2016 se tenait à l’école de cuisine Ferrandi la conférence de presse de la Liste 2017. Je ne vais pas revenir sur le principe, les créateurs et le fonctionnement de cette liste, ayant déjà abordé ces questions il y a un an. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment la Liste a évolué, a grandi à partir de cette ébauche. Car la Liste qui avait été présentée au Quai d’Orsay en décembre 2015 était bien cela, en comparaison avec ce que nous avons pu découvrir cette année.

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L’école de cuisine gastronomique Ferrandi, à Paris, rue de l’Abbé-Grégoire.


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Quand on aime et respecte la cuisine, une visite à Ferrandi est toujours magique.

Je vois qu’on aime taper sur la Liste dans les médias web orientés comestibles (autrement dit la Food, mais restons français, d’autant plus que la Liste est une initiative française). Les commentaires sur Facebook, toujours assez grégaires, font écho comme un seul homme : pas bien la Liste, c’est quoi ce truc, c’est forcément pourri (dixerunt ceux qui n’ont même pas commencé à étudier sa structure et son fonctionnement), ça sert à rien, et il paraît même que « la Liste est dangereuse ». Allons bon ! Dangereuse ? Monsanto de l’évaluation gastro ? Ne dramatise-t-on pas un peu ? En quoi serait-elle plus dangereuse que le Michelin, le Lebey, le Zagat, le Fooding ou le 50Best (qui reçoit bien sa part de coups de bâton lui aussi) ? Parce qu’elle serait « changeante » en raison de son algorithme ? N’est-ce pas précisément la nature d’un algorithme appliqué à un contexte qui change tout le temps ? Et d’ailleurs ces classements ne sont-ils pas tous changeants par définition ? En quoi le changement est-il un problème dans la mesure où il s’agit d’une évaluation annuelle ? Ou alors la Liste serait-elle dangereuse parce qu’elle serait, de l’avis des détracteurs, « opaque » ? Là, il suffit de penser par exemple au Michelin et à sa transparence proverbiale, ou aux notations de guide qui firent un petit tour de montagnes russes peu avant le suicide de Bernard Loiseau, pour rigoler un bon coup.

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Les auteurs, fondateurs et partenaires de la Liste : on y reconnaît entre autres Jörg ZIpprick, Phiippe Faure, Thibaut Danancher et Jean-Claude Ribaut.

On s’étonne aussi qu’elle « existe encore ». Cet étonnement est étonnant. Croyait-on que l’équipe qui planchait sur ce mastodonte allait rentrer dans une crevasse de l’espace-temps pour ne plus jamais en ressortir après avoir fait trois entrechats au Quai d’Orsay en 2015 ? Curieuse conception d’un travail de longue haleine, et manière pas très élégante de réduire à néant le labeur et l’entreprise d’autrui quand celui-ci ne sollicite les médias qu’à intervalles raisonnables : une fois par an, ce qui n’est pas excessif pour une liste mise à jour annuellement.

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Guy Savoy (restaurant de la Monnaie de Paris), classé premier de la Liste cette année, prend la parole au côté de Maguy Le Coze, propriétaire du Bernardin (New York), également distingué par la Liste cette année.

Autre reproche : la Liste répondrait à la conception « la plus réactionnaire de la gastronomie française », arguant du fait que Jean-Robert Pitte participe à l’œuvre (les opinions de M. Pitte ne regardent que lui, mais j’observerai tout de même qu’il est surtout un éminent géographe — je garde un excellent souvenir de ses cours en fac de géographie — et qu’un géographe ne peut pas être tout à fait réac (« la géographie, c’est la science de tout », me disait-il) ; et surtout qu’il a contribué à faire inscrire le repas gastronomique des Français au patrimoine immatériel de l’Unesco, ce qui n’est pas mince, et qui n’est pas mal pour un réac). On peut aussi ajouter que M. Pitte est un homme et non un algorithme ; il n’est pas non plus une équipe. L’entreprise ne se résume pas à sa personne. Car la Liste, c’est une équipe qui bûche, qui trime, qui reconnaît quand elle erre, qui apprend au fur et à mesure de son avancée, et qui ne fait aucun mystère de sa nature de work in progress. À aucun moment elle ne donne des leçons. Tout le monde ne peut pas en dire autant. Elle se propose, c’est tout, alors cette rouspétance me paraît hors sujet. Rendons grâces à son humilité que j’ai assez peu rencontrée dans le monde de l’exégèse gastro : la Liste ne se présente jamais comme un travail accompli et investi d’une autorité régalienne, mais comme un projet en mouvement. Cela, entre autres, constitue son caractère unique au sein du monde de la communication food (pardonnez-moi, c’est plus court). Et je crois d’ailleurs que c’est cet aspect qui déroute, dans une certaine France gastronomique qui se méfie des œuvres mouvantes et pêche par un gros manque d’ouverture sur le monde et surtout de compréhension de celui-ci.

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L’école Ferrandi s’était déjà parée pour Noël.

Quelques réactions désagréables à mon compte rendu du repas Gelinaz par Paul Carmichael illustrent bien cette attitude franchouillarde : certains « pros » ou s’affichant tels qui n’avaient pas aimé le repas (ce qui est leur droit) m’ont ouvertement traitée de lèche-bottes ; selon eux, je cite texto, mon appréciation était « suspecte ». Il n’avaient pas un seul instant imaginé que je pouvais apprécier et analyser une cuisine autre, en décalage avec leurs repères, une association de saveurs issues d’une autre culture, un équilibre de goûts différent, non européen (en l’occurrence afro-caraïbe) présenté sous cette forme internationale trompeuse ; que cela m’avait intéressée et que j’avais cherché à le décrire, à faire partager cet intérêt. Je ne peux incriminer là, outre leur manque de savoir-vivre, que leur méconnaissance des autres cultures du goût, donc (pour faire simple) de leur manque de culture du goût en général.

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Un très joli buffet avait été dressé par l’école Ferrandi et ses élèves pour couronner cette conférence de presse.

C’est aussi un peu ça, le problème des reproches faits à la Liste (on peut bien entendu en faire, mais au moins qu’ils soient réfléchis et étayés, pas uniquement spéculatifs) : on peut râler ad libitum sur les bugs, la méthodologie, l’opacité présumée, les intentions qu’on lui prête a priori, mais il n’y a rien là dont on ne puisse accuser n’importe quel autre système d’évaluation de restaurants. Qu’il s’agisse de listes ou de guides, le grand principe est celui qu’Arnold von Keyserling énonçait à propos de l’éducation des enfants par leurs parents : « Quoi que vous fassiez, c’est mal. Alors arrêtez de culpabiliser. » Et toutes ces râleries réglementaires servent aussi à éviter de rendre compte de l’originalité de la démarche (pourtant incontestable), de l’ampleur du travail réalisé, de l’ambition mondiale du projet et du principe clairement affiché : toutes les cuisines sont égales. Ce qui contredit plutôt l’affirmation que la Liste ferait la promotion d’une vision réactionnaire francocentrée de la cuisine.

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Un coup de champagne à Ferrandi.

Mais je m’attarde un instant sur le principe « toutes les cuisines sont égales » et la dimension mondiale. Je sais qu’on touche là un nerf sensible du nationalisme culinaire français. Un nerf très sensible et une grande part de non-dit. N’est-ce pas surtout cela qui dérange ? Le fait que la Liste ne s’arrêtera pas là et qu’on ne l’arrêtera pas me paraît jouer un rôle dans cette frustration. Après tout, des listes, il y en a eu, et certaines se sont bien plantées par manque d’originalité conceptuelle et par l’inanité d’une démarche purement réactive. Je pense à l’infortunée Foodie’s Top Restaurants List qui, lancée en 2013, et se voulant pourtant « compilée par les meilleurs critiques », semble avoir sombré corps et biens. Au contraire, La Liste est désormais une machine en plein fonctionnement, et l’année prochaine, elle se sera encore améliorée. Cela peut être un peu dur à avaler pour certains, car il arrive qu’on râle initialement sur des projets avec lesquels, plus tard, il faut compter. Position parfois inconfortable.

Revenons à la Liste proprement dite. Elle a grandi, et pas seulement en taille. Elle s’est amplifiée d’une fonction guide pratique : une sélection de dix mille adresses réparties sur plus de cent trente pays, le tout accessible depuis une application mobile multilingue qui comporte en outre un module de réservation par téléphone.

La démonstration de ce guide en ligne a été faite en quelques minutes, directement en salle de conférence. Les journalistes présents ont pris leur téléphone mobile ou leur tablette et se sont connectés sur l’AppStore. Application LaListe téléchargée en quelques secondes, ouverte d’un clic et utilisable immédiatement.

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L’appli LaListe, ici sur iPad. Dispo pour smartphone et tablette.

Et ça dépote. La navigation est simple et d’une grande rapidité. On ne pourra pas, pour le coup, lui reprocher d’être une usine à gaz, comme tant d’interfaces de ce genre. Deux menus déroulants — et seulement deux — la commandent : l’un des deux mène aux grandes villes (Paris, Londres, New York, Dubaï, Singapour, Séoul, Hong Kong, Tokyo, Barcelone et Rome) ou anywhere, option qui ouvre sur un planisphère. Le second permet de sélectionner entre les restaurants de La Liste (puce vert olive) et les Best Values (puce blanche), soit les meilleurs rapports qualité-prix. Une fois le restaurant sélectionné, il s’affiche de la façon suivante : photo avec numéro de classement le cas échéant ; enseigne et adresse, bouton de réservation par téléphone, bouton de commande Uber, catégorisation (La Liste, luxe, français, bistrot, pizza, etc.), horaires d’ouverture, numéro de téléphone, site web, plan Google Maps, et enfin boutons menant aux différentes notices des guides utilisés dans la compilation. Tout cela sur une seule page. L’appli ne possède en fait que trois niveaux de navigation (localisation, type de restaurant avec trois options, et restaurant proprement dit). Au plan de l’ergonomie, c’est exemplaire.

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Ananas caramélisé au buffet de Ferrandi.

Restaurants de La Liste et Best Values constituent toutefois deux listes compilées de façon distincte, ce qui a tendance à créer une sorte de no man’s land : pour la France, la Liste penche vers les deux ou trois étoiles, inconvénient qui ne s’applique pas aux pays où le Guide Michelin est absent. Donc, pour la France, si l’on n’est pas Best value, on risque de ne figurer ni dans l’une ni dans l’autre. C’est par exemple le cas de Kei, dans le Ier arrondissement Paris. Mais n’oublions pas que la Liste est un work in progress : ces incohérences ne manqueront pas d’être rectifiées. Un petit bug signalé lors de la conférence de presse — certains liens Michelin menaient mystérieusement vers l’édition espagnole du guide — a été dûment corrigé une semaine plus tard. Ce qui me paraît illustrer la réactivité et la souplesse de l’équipe de programmeurs. Je ne saurais trop vous recommander de télécharger cette application gratuite et de commencer à vous en servir. Vous en saisirez l’intérêt mieux que je ne pourrais le faire ici. Moi, je dis longue vie à la Liste, parce que j’aime les gens qui bossent, qui innovent, qui ne restent pas scotchés sur la mentalité franco-française et font preuve d’ouverture. Et je suis bien contente de voir où manger ce soir à Séoul d’un seul clic sur ma tablette, même si c’est un peu tard pour prendre l’avion. Paris fera l’affaire.

À la Petite Cuillère
Textes et photos : Sophie Brissaud

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2 réflexions sur « La Liste, les réticences françaises et votre iPad »

  1. Cookmyworld

    Bonjour je partage tout a fait votre avis ! Tenter de creer une objectivité à partir d’une somme « scientifique » de subjectivités, ce qui foncièrement est le cas de la Liste, me parait plutot coherent ! On peut tjs pinailler et certains ne savent malheureusement faire que ça ! Perso tous les classements et guides me paraissent interessants à partir du moment oû les critères sont connus ! c’est ensuite à tout un chacun de se faire sa propre opinion pour savoir si un guide ou classement lui convient pour en faire « sa » référence et laisser à d’autres ceux qui ne « conviennent » pas !

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