BFM a reporté les faits de ce procès symbolique où l’image de l’univers des cuisines risque d’être secoué
Les faits se sont déroulés pendant le service et durant les pauses, dans une salle attenante au restaurant neuilléen. L’avocate d’une plaignante souligne « l’enjeu fort » de ce procès, le premier depuis la multiplication des accusations de violences sexuelles en cuisine.
« Derrière le vernis du savoir-faire à la française se cache en cuisine une autre réalité qu’il faut dénoncer. » Mohammed H., ancien chef cuisinier au restaurant La Boutarde, à Neuilly-sur-Seine, a comparu ce lundi devant la cour d’assises de Nanterre pour des faits de viols et agressions sexuelles sur trois jeunes femmes employées entre 2014 et 2019.
« Ce sont des mains aux fesses, des baisers forcés, de la lingerie offerte, des actes sexuels contraints… », énumère Me Sandrine Pégand, avocate de l’une des trois parties civiles, interrogée par BFMTV.com.
Les langues se délient en février 2019 après la plainte d’une première femme, Aurélie*, à ce jour âgée de 26 ans, qui affirme avoir subi une pénétration digitale de la part de l’accusé, Mohammed H. Elle décrit également des scènes de massages dans la salle de repos improvisée à l’arrière du restaurant lors desquelles l’accusé aurait « posé la main de la jeune femme sur son sexe en érection et tenté de la pénétrer », dépeint à la barre l’enquêtrice qui a enregistré sa plainte.
« Tétanisée », « paralysée »
La police entame alors des investigations et interroge le personnel qui a travaillé dans le restaurant depuis l’arrivée du chef cuisinier en 2014. Peu à peu, la chape de plomb se lève. Il semble qu’Aurélie ne soit pas la seule à avoir subi des violences sexuelles de la part de Mohammed H.
Julia*, qui commence comme apprentie à La Boutarde en 2014, raconte « les mains aux fesses pendant le service, les propos à caractère sexuel tels que ‘t’es bonne' ». Vient ensuite Andréa* qui décrit les « compliments qui la mettaient mal à l’aise », « la fellation contrainte » et un autre viol dont elle dit avoir été victime en 2018 alors qu’elle était encore vierge. Devant la cour, l’enquêtrice rapporte les procès verbaux enregistrés en 2019.
« Elle m’explique que ça s’est passé dans la salle de repos, pendant la pause. Elle était sur le matelas, il l’a attrapée, elle était paralysée, il a dégrafé sa chemise. Elle n’a pas pu lui dire d’arrêter, elle était tétanisée. Il s’est masturbé puis l’a pénétrée. Elle l’a repoussé et il lui a dit: ‘Si tu en parles, je recommence’. »
L’accusé nie l’intégralité des faits
Depuis le début de l’instruction, l’accusé – placé en détention provisoire depuis le 16 février 2019 – nie les faits qui lui sont reprochés et établit un lien, devant les policiers, entre les déclarations des plaignantes et la volonté du gérant de l’établissement de le licencier.
Né au Maroc en 1978 et arrivé en France au début des années 2000, il explique avoir « toujours aimé la cuisine ». À La Boutarde, où il a exercé durant sept ans, il créait de nouveaux menus chaque semaine, « tout était fait maison », dit celui que son épouse décrit comme « un homme formidable », « à l’écoute, serviable et gentil », ne faisant jamais usage de la contrainte.
Mais en cuisine, c’est un tout autre portrait qui est dressé. Plusieurs fois, le gérant de l’établissement et la cheffe de salle ont reçu des plaintes.
« Un jour, Julia est venue me dire qu’il avait essayé de l’embrasser. Je suis allée en parler à Mohammed H. mais il a minimisé, il considérait que ce n’était pas grave. À partir de là, on a convenu avec le gérant de ne plus faire entrer de filles en cuisine, mais visiblement ça n’a pas suffi… », souffle cette ancienne employée, interrogée par BFMTV.com.
« Il faut en finir avec l’omerta »
Pour l’avocate de Julia, l’affaire est limpide: « On a un mode opératoire identique pour les trois plaignantes qui n’ont jamais travaillé en même temps dans le restaurant, donc qu’on ne nous parle pas de complot contre l’accusé. » Outre la gravité des faits qui vont être débattus jusqu’à jeudi aux assises, Me Pégand souligne « l’enjeu important de ce procès », le premier depuis la multiplication des accusations de violences sexuelles en cuisine, longtemps étouffées.
Ainsi, depuis le mois de juillet 2019, Camille Aumont Carnel tente de briser le silence en rapportant sur sa page Instagram « Je dis non chef! » des témoignages anonymes, aussi bien de stagiaires que de chefs et cheffes de rang, serveurs et serveuses, qui ont vécu ou assisté à des dérives. « Ce procès est dans la lignée de ces mouvements de libération de la parole. Oui, on écorche l’image de la France, on touche à un point sensible, sa gastronomie, mais il faut en finir avec cette omerta », conclut Me Sandrine Pégand.
*Les prénoms ont été modifiés